De Montpellier
Toujours là mais exsangues. Cinq mois après notre première rencontre, le noyau dur des socialistes de Montpellier est debout ce samedi matin, sous le soleil de la place Henri-Krasucki, du nom de l’ancien secrétaire général de la CGT. Fanny Dombre-Coste, la « seule députée-artisan », comme elle aime à se présenter, lance sa campagne législative. À quelques pas de là, elle a longtemps tenu un magasin de photographie et été une figure de la vie associative de ce faubourg animé du centre-ville. Près du pupitre, des vieux messieurs en chemise bleue et pantalon crème soufflent dans des cuivres un jazz suranné. Non loin, trois tables avec une bassine de punch, deux seaux de glaçons, des cruchons de vin rouge et trois bricoles à grignoter. Une grosse centaine de personnes applaudissent, âgées pour la plupart ; et toujours les mêmes visages des piliers du parti, croisés au fil des épisodes de la saison 1 des Socialistes dans les sections PS, les réunions publiques, les opérations militantes.
Cette matinée au doux soleil trompeur serait-elle la der des ders pour les vieux camarades ? Ce socialisme qui a structuré des vies, sanctifié des valeurs communes, porté des quantités d’élus au pouvoir va-t-il disparaître à jamais ? « La mort du PS… » Ils sont nombreux, ici, à en parler spontanément, entre eux, sans qu’on leur pose la question. Avec des avis très divergents. En quelques semaines, l’ancien monde politique s’est disloqué mais l’immuable du rituel socialiste de campagne a quelque chose de rassurant. Que restera-t-il de tout cela le 18 juin, au soir du second tour des législatives ?
Et voici qu’arrivent groupés sur la place Krasucki la présidente de région Occitanie, Carole Delga, le premier fédéral de l’Hérault, Hussein Bourgi, la députée Fanny Dombre-Coste et sa veste rouge comme le haut de ses lunettes, avec une poignée de collaborateurs et d’élus pour faire masse. Les discours de soutien s’enchaînent en faveur de « la députée de terrain qui a fait voter la loi sur le casier judiciaire vierge pour les élus ». On cible Macron sans le citer – « Le flou est très facile à porter », « En ces temps troublés où l’on cultive les ambiguïtés, c’est important la clarté » – et deux mots fourre-tout reviennent en boucle : « Constructifs et vigilants ». Deux jours plus tôt, l’ancien Premier ministre, Bernard Cazeneuve, était dans le département voisin, l’Aude, pour marteler ce slogan concocté par le parti à Paris, maigre viatique du candidat socialiste orthodoxe en campagne législative.
Dans l’Hérault, qui compte neuf circonscriptions (dont huit sont à gauche : sept PS, une Europe Écologie - Les Verts), plane un risque d’éradication socialiste. Aucun militant ne veut croire que le score de Benoît Hamon dans le département (5,77 %) soit une base de projection crédible pour des députés sortants, mais il est là, dans toutes les têtes, comme un spectre inquiétant. Chaque candidat a calé sa campagne sur la sociologie de son territoire, sa notoriété supposée et son bilan à l’Assemblée nationale. Dans les tracts, la situation locale est systématiquement mise en avant.
Hussein Bourgi, lui, se réjouit de la nomination d’Édouard Philippe à Matignon, qui « va permettre à l’appareil de taper comme des soudards sur ce Premier ministre de droite ». « Vous vous êtes laissés séduire et finalement tromper par Macron, il vous a montré son vrai visage… Revenez au bercail ! », lance-t-il aux électeurs perdus du Parti socialiste. Il a aussi décortiqué le profil des néo-candidats locaux étiquetés « La République en marche » (LRM) et se dit – c’est de bonne guerre – « effaré par le casting de ces gens qui ne connaissent pas leur territoire ». Lui aussi est dans le flou : incertain de la pérennité locale de la percée Mélenchon (23 % au premier tour de la présidentielle) et habitué à la puissante stabilité électorale du FN, il est convaincu que l’étiquette LRM (20,5 % pour Macron le 23 avril) « donne un socle, mais dont personne ne connaît l’ampleur ». Quant aux socialistes, il veut croire qu’en la jouant à l’ancienne « tous peuvent l’emporter à travers des campagnes comme nous savons les faire avec nos militants, nos réseaux, nos liens avec les élus et les associations. On aura un tract national, oui, mais ce n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est celui avec la photo du député et de son suppléant, avec le périmètre de sa circonscription, son bilan et ses projets pour le territoire ».
Nombre de députés sortants PS m’ont demandé un coup de main pour obtenir l’étiquette “En marche”.
Dans cette bataille législative potentiellement mortifère, les socialistes ont à peine encaissé le choc de la présidentielle qu’ils doivent repartir au front sans s’être réarmés idéologiquement face à un nouveau pouvoir qui les divise. Ils doivent aussi composer avec des défections, des exclusions. Deux des députés sortants ne repartiront pas sous les couleurs socialistes. Le premier, Patrick Vignal, a quitté de fait la maison PS en apportant son parrainage à Emmanuel Macron. Investi par En marche, il a entraîné dans son sillage le gros des forces militantes PS de sa circonscription (lire l’épisode 7 de la saison 1). Sans balancer de noms, Vignal assure que « nombre de députés sortants [lui] ont demandé un coup de main pour obtenir l’étiquette “En marche” ». Il ironise sur ces « drames humains » en pensant aux battus et dit : « Ce Premier ministre, je ne le connais pas, mais je pense à la baisse du chômage qu’on va mettre en œuvre. On a cinq ans pour réussir, sinon on dégagera tous. » Pour sa campagne, assez locale, il a créé un tract en forme de « carte de fidélité électorale » entre les électeurs et lui, prend aussi le temps de régler des comptes sur les réseaux sociaux avec le patron du PS départemental Hussein Bourgi, accusé de prendre « des postures dignes des tribunaux staliniens ». Ce dernier aurait qualifié de « traîtres et ennemis » certains ex-militants PS passés à En marche.
L’autre victime de la présidentielle et du macronisme s’appelle Anne-Yvonne Le Dain. Élue dans la circonscription la plus favorable au PS, cette députée a été débarquée pour avoir soutenu et milité en faveur du nouveau président de la République. Mais LRM ne lui a pas donné l’investiture. La semaine dernière, le PS l’a humiliée en faisant à nouveau voter les militants pour investir une autre candidate. Le Dain avait le droit de se présenter mais ne l’a pas fait. Elle parle « d’attitude bolchévique d’exclusion et d’une situation triste à pleurer ». Le maire de Montpellier, Philippe Saurel (ex-PS), qui était son suppléant, l’a lui aussi lâchée. Dans sa circonscription, il a fait investir par En marche son adjointe à l’urbanisme, Stéphanie Jannin, qui a de fortes chances de siéger au Palais-Bourbon. Anne-Yvonne Le Dain sera finalement candidate indépendante face à 23 autres postulants, un record.
Quel sera l’ampleur du blast tant redouté par les socialistes en juin ? Julie Frêche, fille de l’ancien maire tutélaire de Montpellier, veut « tout mettre en œuvre pour faire élire le maximum de députés PS » mais s’attend à « une traversée du désert, comme on en a déjà connu ». Cette jeune femme qui « reste socialiste » ne veut « pas condamner par avance toute tentative de grande alliance macroniste ». Elle goûte assez peu la violence des règlements de comptes qui secouent le parti, persuadée que dans le big-bang actuel la plasticité politique offre la meilleure garantie de survie.