En Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France métropolitaine, depuis des années, les travailleurs sociaux, la protection de la jeunesse, la justice des mineurs dénoncent l’impossibilité de faire correctement leur travail. Sous-effectifs, nouvelles recrues mal formées, heures supplémentaires innombrables ont pour conséquences de fragiliser encore un peu plus des familles et des enfants en grande difficulté, des mineurs en danger. Luigi était l’un d’eux. Souvenez-vous de ces mots d’une travailleuse sociale après le décès de l’adolescent, le 17 septembre dernier à Saint-Denis (lire l’épisode 1, « 21 h 15, le décès de Luigi est prononcé ») : « Si nous avions pu faire notre travail correctement, Luigi serait toujours en vie. »
Derrière le cri d’alerte, il y a de la culpabilité et l’aveu d’impuissance de toute une profession. « On forme des jeunes à affronter des situations alors que nous savons qu’il n’y a pas les moyens institutionnels pour régler les problèmes sociaux auxquels ils vont être confrontés. Les stagiaires en protection de l’enfance reviennent dégoûtés », balance Angélique Gozlan. Cette docteure en psychopathologie est formatrice d’éducateurs spécialisés à l’Institut régional du travail social Parmentier, à Paris. Selon elle, tous les outils existent, mais le manque de moyens les rend tout simplement inopérants.
En Seine-Saint-Denis peut-être plus qu’ailleurs, il y a urgence. En novembre 2018, 700 jeunes du département étaient dans l’attente d’une prise en charge effective de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ces mesures, prononcées par des juges, sont émises pour isoler un mineur délinquant d’un environnement nuisible mais, dans certains cas, elles sont aussi des alternatives à l’incarcération. Pour Luigi, il s’agissait clairement d’une mise à l’abri : après un coup de filet à la cité Joliot-Curie, à Saint-Denis, consécutif à des vols commis sur l’autoroute A1 voisine (lire l’épisode 3, « Luigi, avalé par la bande »), l’adolescent – qui n’a pas été condamné dans cette affaire – a été placé en unité éducative en hébergement collectif pour l’éloigner de son quartier. Mais ces listes d’attente ne sont pas propres à la PJJ : pas moins de 915 mesures prononcées par les juges des enfants de Bobigny – la préfecture de Seine-Saint-Denis – sont en attente d’une prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Au total, ce sont ainsi plus de 1 600 mineurs qui errent dans les limbes de l’administration.
Si des mesures sont prononcées, c’est bien qu’il y a des enfants en souffrance dans des familles elles-mêmes en grande précarité sociale. Le temps est souvent compté !
Au cœur du problème : les postes vacants non pourvus… Conséquence : des délais de mise en œuvre qui peuvent courir jusqu’à dix-huit mois.