En politique, ce sont des apprentis. Des bleus, des néophytes, enthousiastes, dévoués, pleins d’optimisme. La plupart de ceux qui peuplent La planète Marche, racontée dans la saison 1, n’avaient aucune d’expérience sur le terrain électoral. Depuis des mois, Les Jours suivent les pas de ces nouveaux militants. Au fil de la campagne, ils ont pris des responsabilités, animé des comités locaux, coordonné des actions. Après avoir porté Emmanuel Macron au pouvoir dimanche, ils inaugurent ce jeudi une nouvelle étape : la construction d’une majorité présidentielle. Des vocations sont nées : devenir député. « J’ai découvert un monde que je ne connaissais pas et j’ai aimé », confie Marianna Mendza, référente du mouvement dans le XIe arrondissement de Paris. Certains, comme elle, se sont portés candidats à l’investiture. Ils n’y avaient jamais pensé avant. Marianna Mendza, Bouchra Nazzal, Pierre-Marie Debreuille, Maria Paz Usach Fave, Prisca Thevenot font partie des « nouveaux visages » vantés par Macron.
Pour eux, les investitures officielles du mouvement sont « une épreuve de vérité », comme le répète souvent Maria Paz, militante en Bourgogne. « Depuis deux ou trois jours, les militants tournent en rond, les gens sont tellement boostés, la fin de campagne présidentielle a été tellement intense, l’attente est infernale », confiait Marianna Mendza jeudi en fin de matinée. « On entend des rumeurs, des spéculations. Le mouvement est victime de son succès, disait aussi Bouchra Nazzal, elle aussi candidate à l’investiture. On n’est pas naïfs, on sait qu’il y aura des déceptions mais on voudrait qu’elles soient le plus anecdotiques possible. »
Ce jeudi après-midi, Richard Ferrand, secrétaire général d’En marche, a dévoilé les noms de 428 personnes officiellement investies, sur un total de 577, lors d’une conférence de presse au QG parisien du mouvement. Parmi eux, je retrouve celui de Prisca Thevenot, 32 ans, investie en Seine-Saint-Denis. Quand elle a entendu l’appel à candidatures d’Emmanuel Macron en janvier, cette fille unique de parents mauriciens qui a grandi à Stains et fait sa scolarité en ZEP s’est d’abord dit : « Mais regarde-toi dans le miroir. » Ce n’était pas pour elle. Elle avait eu le même réflexe au moment de faire une classe prépa, à Paris : « Je n’osais pas, j’avais honte, la classe prépa, c’était inaccessible. À Paris, je voyais des gens qui parlent super bien, qui n’ont pas les mêmes références, et vestimentairement les mêmes codes. En Seine-Saint Denis, j’étais première ; je suis passée 39e sur 41, et j’étais la seule non blanche », m’avait-elle expliqué il y a quelques mois (lire l’épisode 10 de la saison 1). Prisca, deux enfants, qui est devenue entrepreneure après avoir été salariée pour un gros groupe à l’étranger, habite à Paris, mais c’est en Seine-Saint-Denis qu’elle a fait campagne pour la présidentielle et bataillera pour la députation.
Emmanuel Macron a toujours affirmé que son mouvement ne serait pas une « recyclerie » et promis « du renouvellement ». La moitié des candidats à un siège de député viendrait de la société civile ; la parité serait respectée, n’a-t-il cessé de dire. En marche a mis en place en janvier une procédure inédite : ouverte, elle se fait en ligne. 19 000 personnes s’y sont engouffrées. Soit en moyenne, 32 candidats par circonscription.
Pour certains – certaines plutôt –, il a fallu pousser. Dans les premiers jours, les hommes surtout se sont précipités. En marche a alors incité les femmes à se déclarer. Dans un message sur Facebook, Emmanuel Macron a, par exemple, reconnu « le droit de préséance dont bénéficient les hommes dans notre société » (dont lui), et invité les femmes à combattre « l’autocensure ». « Réveillez-vous. Discutez-en. Réfléchissez jusqu’au bout. L’engagement politique, ce n’est pas toujours pour les autres », a-t-il conclu (lire l’épisode 2 de la saison 1).
J’avais, ainsi, rencontré Prisca Thevenot à un événement organisé par En marche pour encourager les candidatures féminines. (lire l’épisode 5 de la saison 1). Au final, 71 % des aspirants sont masculins. Mais on compte 214 hommes et 214 femmes parmi les 428 premiers investis. Moyenne d’âge : 46 ans, contre plus de 60 ans pour les députés actuels, a précisé Richard Ferrand. 52 % sont issus de la société civile, c’est-à-dire qu’ils n’ont jamais exercé de mandat électif. 24 sont déjà des parlementaires. Outre les historiques d’En marche issus du PS – Stéphane Travert, Christophe Castaner ou Richard Ferrand –, on trouve Barbara Pompili, François de Rugy, ou le Lyonnais Jean-Louis Touraine. Aucun ne vient des rangs des Républicains. Outre quelques ratés, la liste comporte également le conseiller en com de François Hollande, Gaspard Gantzer – une surprise –, le mathématicien-vedette Cédric Villani, ainsi que l’ancien juge Éric Halphen ou encore l’ex-torera Marie Sara. « Cas particulier », selon l’expression de Richard Ferrand : l’ancien Premier ministre socialiste Manuel Valls qui réclamait une investiture, n’aura pas l’étiquette En marche, mais il n’aura pas non plus à affronter de concurrent issu du mouvement de Macron.
Quelqu’un du QG m’a appelée en numéro masqué, la conversation devait durer vingt minutes, mais cela a été plus long. Elle est revenue sur mon parcours et mes motivations, m’a testée sur ma capacité à faire campagne.
La commission d’investiture présidée par Jean-Paul Delevoye s’est réunie 250 heures sur trois mois, a vanté Ferrand, pour faire le tri parmi les dossiers. 1 700 personnes ont eu un entretien, au téléphone généralement. Prisca Thevenot : « Quelqu’un du QG m’a appelée en numéro masqué, la conversation devait durer vingt minutes, mais cela a été plus long. Elle est revenue sur mon parcours et mes motivations, m’a testée sur ma capacité à faire campagne, elle me disait, par exemple : “On va rentrer dans votre vie privée.” » Prisca Thevenot a passé cette étape. Certains des candidats présélectionnés n’ont pas résisté au crible des entretiens : « Environ 20 % n’avaient finalement pas le profil pour être candidat », a fait savoir Jean-Paul Delevoye jeudi. « Les premiers marcheurs ne sont pas forcément les meilleurs candidats, et ça, ils ont du mal à l’entendre », m’avait aussi dit François Patriat, sénateur d’extraction socialiste, rallié à En marche qui a siégé à la commission d’investiture.
Dans son département, en Côte-d’Or, Maria Paz Usach Fave attend, elle, une réponse. Enseignante d’espagnol au lycée et à la fac, elle a participé à la « grande marche », créé un comité à Dijon et est candidate à l’investiture (lire l’épisode 12 de la saison 1). Avec son profil – femme, de la société civile, binationale espagnole et française – m’avait-elle expliqué, elle pense incarner le renouvellement voulu par Macron. « Dans le comité, ils m’ont dit : “On préfère que ce soit toi que des arrivistes qui viennent maintenant.” Ça m’a décidée », résumait-elle il y a quelques mois.
« C’est encore instable. Tout le monde essaie d’aller à la pêche, ils ne lâchent rien, confirmait Marianna Mendza jeudi, candidate dans la 7e circonscription de Paris, impatiente d’être fixée. Et, après la conférence de presse, elle me disait : « Le supplice continue. » C’est aussi le cas de Bouchra Nazzal, dans une circonscription voisine. À Paris, seules quatre d’entre elles ont été attribuées ce jeudi (trois avaient déjà leurs candidats) dont deux vont à des rouages importants de la machine macroniste : le porte-parole Benjamin Griveaux et le référent parisien Stanislas Guérini.
Marianna Mendza et Bouchra Nazzal à Paris, Maria Paz à Dijon pourraient avoir des nouvelles d’ici à mercredi prochain – deux jours avant la date limite de dépôt en préfecture. Leurs circonscriptions font partie des 149 non attribuées. Des « places en or » qui vont faire l’objet d’ultimes tractations, entre appétits aiguisés, récompenses et parachutages de dernière minute.