De Marseille
Au départ, Wilson voulait juste s’acheter un vélo. Voilà comment, à 14 ans, il s’est retrouvé à « jobber » dans un gros point de deal du XIVe arrondissement de Marseille. Pour ces minots recrutés par les trafiquants, la mission est simple : faire le guet à l’entrée de la cité pour prévenir toute intrusion indésirable. Avec les départs en vacances et les déménagements, l’été permet souvent à de nouveaux adolescents de rejoindre les effectifs. Alors Wilson a embarqué son camarade Mehdi*, et la mère de ce dernier a déboulé en larmes, impuissante, apeurée, devant le personnel du collège où les deux jeunes viennent tout juste de faire leur rentrée en classe de troisième. Cette même semaine de reprise au même endroit, un autre élève a déjà été exclu pour avoir ramené du shit dans son sac.
Dans les quartiers nord, il suffit de passer devant n’importe quel lieu de trafic pour voir l’un de ces adolescents. Masqués ou cagoulés, vissés sur un fauteuil ou un tabouret Quechua, ils sont les yeux des réseaux. Ce sont les guetteurs, les choufs. Par la suite, ils peuvent être promus au poste de « charbonneurs », ces petits vendeurs au contact direct des clients. Lorsque l’on parle d’eux, les services de la Protection de la jeunesse (PJJ) les qualifient rarement de « délinquants ». Ils sont d’abord des « enfants en danger », des « victimes » ou même des « travailleurs forcés ». Ils ne représentent jamais plus d’une poignée d’élèves dans les collèges et lycées proches des cités. Alors combien sont-ils, au juste ? « Sans soute plus d’un millier », peut-on lire sous la plume du journaliste Romain Capdepon dans son livre Les Minots, une enquête à Marseille (éditions JC Lattès, 2019). « J’estime à 2 000 le nombre de jeunes qui dealent pour la vente au détail sur Marseille », renchérit le prix Albert-Londres Philippe Pujol, interrogé cet été par Le Figaro.
Était-il là par hasard ? Était-il impliqué dans le réseau comme son collègue ? C’est terrible de voir que des gens se posent ces questions, comme si ça changeait quelque chose !
Le 18 août dernier, l’assassinat de Rayanne, 14 ans, a provoqué un émoi national. Vers 22 h 30, le jeune collégien a été abattu à l’entrée de la cité des Marronniers (XIVe arrondissement) aux côtés d’un ami guetteur du même âge, touché lui aussi. Marseille n’avait jamais enterré un enfant aussi jeune sur fond de guerre des clans. L’implication de Rayanne dans le trafic n’est pas avérée à ce jour, il était inconnu de la justice. Mais entre le lieu du crime, son heure tardive, son timing et la douzaine de règlements de compte enregistrés cet été, tout indique une vendetta. Autant que l’urgence de recadrer le débat.