Le secteur de la culture a été très poli et plein de bonne volonté jusqu’ici, mais la décision du gouvernement, ce jeudi, de reporter le déconfinement des lieux de spectacle prévu pour le 15 décembre a changé l’ambiance. Désormais, c’est une confrontation qui s’annonce : selon nos informations, plusieurs importants représentants du secteur s’apprêtent à déposer un recours devant le Conseil d’État pour faire annuler ou réviser la décision du gouvernement. C’est la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) qui est à la manœuvre, qui gère les droits des auteurs du spectacle vivant et de l’audiovisuel et pèse lourd dans la culture en France. Le Syndeac, qui représente des scènes du spectacle vivant subventionné, s’est associé au projet et pourrait être rejoint ce week-end par les principaux acteurs de la musique, comme le Prodiss (salles privées) ou la Fedelima (salles de musiques actuelles). Dans le même temps, l’Olympia, le Bataclan et toujours plus de théâtres comme celui de la Villette, à Paris, ont commencé à afficher sur leur fronton l’expression « Pas essentiel », en écho à leur classification par le gouvernement Castex en tant que lieux non nécessaires à la vie des Français.
Techniquement, il faut que le décret qui prolonge la fermeture des salles de concert, théâtres et cinémas soit publié avant qu’un recours soit déposé. Cela devrait être fait ce week-end. L’idée est d’imiter le recours porté par l’Église catholique de France au mois de novembre, qui a entraîné le Conseil d’État à obliger le gouvernement à revoir son décret limitant à 30 personnes le nombre de fidèles autorisés à assister aux cérémonies religieuses, le jugeant « disproportionné ». Pour Guillaume Prieur, le directeur des affaires institutionnelles de la SACD, « il s’agit d’obtenir soit une suspension de la fermeture » des lieux de spectacle, « soit un assouplissement ». « Avant que le gouvernement ne prenne la décision de ne rien rouvrir, dit-il, il y avait plusieurs options sur la table, comme un couvre-feu à 20 heures pour les spectacles, des jauges encore réduites… Il y a un vaste champ des possibles » qui permettrait à certains petits spectacles de se tenir dans des conditions satisfaisantes, sans mettre la culture totalement à l’arrêt pendant que les magasins sont pleins et que les églises peuvent ouvrir.
Cette critique revient en boucle depuis quelques jours et s’est enflammée dans le secteur depuis les annonces du Premier ministre Jean Castex ce jeudi soir : pourquoi le gouvernement accepte-t-il que des trains ou des grandes surfaces fassent cohabiter des foules alors qu’une séance de cinéma ou un concert apportent sur le papier au moins autant de garanties sanitaires avec un protocole éprouvé (lire l’épisode 3, « Concerts : staying alive malgré tout ») avant le reconfinement (public assis, espacé et masqués) ? « On nous présente la fermeture des salles de spectacle comme un élément de la protection sanitaire, continue Guillaume Prieur, mais sans jamais apporter la moindre étude qui viendrait corroborer cette vision. On est sur une mesure qui n’a aucun fondement sanitaire ou scientifique. C’est franchement assez inexplicable et on est en droit de se poser des questions. » Si des études ont très tôt montré que les spectacles, par leur promiscuité en lieu clos, sont des espaces de contamination importants, aucune n’a montré, depuis, que les protocoles sanitaires mis en place ne garantissent pas une ouverture en toute sécurité.