À Bamako (Mali)
Assis sur son tapis à faire le thé, le vieil homme ne décoche pas un sourire et jette des regards répétés sur le téléphone satellitaire posé à côté. On est en octobre 2022 à Bamako. Onze personnes, des civils, ont été tuées la veille par les fantassins de l’État islamique dans les brousses de Tessit, dans le nord du Mali. Une histoire de représailles, dit Alassane, qui coordonne les évacuations à distance. Il est conseiller communal d’un village, rural et martyr, qui n’a pas choisi d’être au cœur des combats entre tous les acteurs du conflit de la région. Combattants d’Al-Qaïda, de l’État islamique, de groupes armés ex-rebelles s’y affrontent pour le contrôle d’un territoire stratégique, pour l’influence… et pour l’or.
« Ça ne s’arrêtera jamais, jusqu’à la mort de la dernière personne dans le Gourma, ils continueront leur guerre. À quoi ça sert de combattre pour une parcelle où il n’y a plus personne ? », demande-t-il, las d’un conflit qui dure depuis plus de dix ans et dont personne ne voit la fin. Il ressert un thé, triture son téléphone : il attend des nouvelles. Et fait le récit, à la manière d’un mauvais conte, du nord du Mali. « Tout a commencé en 2012. Il y avait des rebelles, il y avait l’armée ; les premiers ont décidé leur indépendance », dit-il. L’État fantasmé s’appelle Azawad. Et puis il y a eu d’autres combattants, avec des drapeaux foncés ; Al-Qaïda puis l’État islamique reconnaîtront en quelques années ces franchises (c’est quasiment comme McDonald : vous prenez contact, rencontrez un responsable, il accepte, et hop ! En quelques mois, vous pouvez arborer leurs couleurs). Entre-temps, François Hollande, alors président de la République, a décidé de déployer 4 500 soldats français. Un rayon de soleil semble apparaître quand un accord de paix est signé entre l’État et les rebelles en 2015 : les désormais ex-rebelles s’engagent à rester Maliens. Mais rien n’y fait : on est en octobre 2023, et la guerre a repris dans le nord du Mali. De nouveau, il est question d’Azawad, même si les désormais néorebelles n’ont pas encore officiellement sauté le pas. La France, enfin, a plié bagage en râlant, après avoir été éjectée de la région par des putschistes qu’elle débecte (et inversement).
À Tessit, loin du réseau téléphonique, loin de la politique, la guerre n’a jamais pris de pause. La commune subit un blocus quasiment total des groupes jihadistes depuis plus de neuf mois.