À Agadez (Niger)
Dans la rue de l’or à Agadez, au Niger, il faudrait placer une immense enceinte qui diffuserait en boucle la bande originale du Bon, la Brute et le Truand. L’ambiance est à la défiance et aux regards noirs. La lourdeur reste comme en apesanteur. Cette rue est le principal lieu d’échange de l’or du Sahara central : il en arrive du Niger, d’Algérie, du Mali, du Tchad… Tout s’achète et se vend dans un immense immeuble de béton décrépit à deux étages qui fait la longueur de la rue, environ 250 mètres. Au rez-de-chaussée, une trentaine de portes en verre fumé alignées s’ouvrent et se referment à la vitesse de l’éclair : ce sont les comptoirs d’achat. Devant chacune d’elles, des hommes font le guet, assis sur les deux marches des perrons. Un ado pousse un minichariot rouge et leur vend thé ou café sans mot dire. Seules quelques femmes qui proposent des beignets avec le sourire rendent l’endroit supportable.
En face du bâtiment se trouve le marché artisanal, où les fonderies d’or ont inéluctablement pris le pas sur les bijouteries touaregs, autrefois hauts lieux du tourisme occidental au Sahara. L’or est fondu là, puis vendu dans le paquebot de béton en face. D’où la tension permanente : cette rue, c’est un Wall Street de l’or, il ne faut rien rater de ce qu’il s’y passe, qui arrive et qui part, qui a fait fondre des lingots, qui vient de vendre, et surtout, plus intéressant, qui veut vendre… C’est le point de chute pour des milliers de petites mains (lire l’épisode 2, « Au Sahara, le périple des petites mains de l’or »).
Mi-août 2023. Un SMS fait vibrer mon portable.
« Ça y est, j’en ai trouvé !, écrit un prospecteur croisé à Arlit, dans le nord du Niger, quelques mois plus tôt.
Où es-tu ?
Tchibarakaten ! Ils viennent de me fondre le lingot, mais je ne sais pas si je vends ici, je connais quelqu’un à Agadez qui pourrait me l’acheter. Mais j’ai peur de le perdre sur la route… »
C’est le choix cornélien initial pour le chanceux : faut-il revendre directement sur place à un prix moins intéressant ou bien emporter l’or à Agadez, à Niamey voire à l’étranger ? Plus le lieu de vente est éloigné du site d’orpaillage, plus le prix d’achat sera élevé. Sur le site de Tchibarakaten, mi-2023, le gramme avoisinait les 25 000 francs CFA (38 euros) ; à Arlit, 29 000 (44 euros) ; à Agadez, 33 000 (50 euros) ; et à Dubaï, 40 000 (61 euros). Forcément, ça donne envie d’emmener ses lingots en voyage…
Si l’envie vous prend un jour de vous lancer dans l’orpaillage au Sahara, voici deux histoires intéressantes qu’on a entendues durant cette enquête. La première est celle d’Housseyni, un vieil homme pris par la fièvre de l’or en 2017. Il a investi les économies d’une vie dans trois puits dans le nord du Niger, certes profonds mais qui ne donnent pendant longtemps pas grand-chose.