À la prison de Toulouse-Seysses, les conditions de détention s’améliorent. « L’humidité est omniprésente. Des odeurs horribles remontent par l’évier, les joints sont noirs et le plafond se décolle. Les champignons dans la douche nous empêchent de toucher les murs, écrit dans une lettre un détenu incarcéré depuis plusieurs mois. Les cafards sont présents partout, même dans les chariots de la gamelle. Lorsque j’étais auxiliaire, je les ai aperçus se balader sur un plat de tortillas. Il y a des œufs de cafards dans nos vêtements. » « ON EST TROIS DANS UNE CELLULE DE 9 M2, témoigne en majuscules un autre, un an d’écrou au compteur. C’EST INVIVABLE. MÊME DANS LES CHENILS, LES CHIENS ONT PLUS DE PLACE. IL Y A DES RATS PARTOUT. Y EN A MARRE. » Un dernier griffonne : « J’ai assisté à des violences commises par certains surveillants à l’encontre de détenus, des gifles ou des bousculades. Ils se permettent de priver de promenade ou de refuser à des détenus d’accéder à leurs activités en fonction de leur humeur. »
Les Jours se sont procuré plusieurs attestations rédigées cet été par des détenus du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses à l’attention du juge des référés appelé à se prononcer sur les conditions de détention. Et d’après lui, elles s’améliorent. C’est en tout cas ce qu’il dit dans son ordonnance du 2 août 2022. Elle fait suite à une autre, plus sévère, rendue en octobre 2021 et dans laquelle il reconnaissait que l’état de cette prison portait une atteinte grave et illégale aux droits fondamentaux. Il émettait alors onze injonctions à l’adresse du ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, de la nécessité urgente de mettre fin à la surpopulation carcérale à celle d’assurer l’enregistrement de tout fait de violence, que son auteur soit détenu ou surveillant. Saisi à nouveau par la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) et l’ordre des avocats du barreau de Toulouse, le juge des référés a donc estimé le mois dernier qu’une grande partie des injonctions étaient réalisées ou en cours de l’être. Dans l’attente d’une meilleure solution, il trouve ainsi convenables ces rideaux de douche posés entre les toilettes et les matelas au sol. Il salue d’ailleurs que ces derniers soient passés de 173 à 88 en quelques mois. Et le nouveau système de remontée d’incidents ? Satisfaisant. Le magistrat ne retient plus que trois injonctions : réhabiliter les toilettes de la cour de promenade, distribuer plus de pièges à cafards, mettre en place un parcours de soins effectif. L’OIP et l’ordre du barreau des avocats de Toulouse ont interjeté appel devant le Conseil d’État.

Car de l’avis de tous, la situation de cette prison située à vingt kilomètres du Capitole reste indigne. Les nombreux témoignages ainsi que les pièces des différentes affaires recueillies par Les Jours dépeignent une insalubrité effrayante et des violences persistantes. D’après nos informations, deux détenus ont d’ailleurs déposé des « recours indemnitaires », des demandes de réparation financière à la suite de préjudices. Une démarche pas si fréquente à Toulouse. Le premier de ces recours a été enregistré le 1er avril 2022 devant le juge administratif pour défaut de surveillance et de protection de l’administration pénitentiaire engageant la responsabilité de l’État. Le second a été déposé le 18 juillet dernier devant la direction de l’administration pénitentiaire de Toulouse-Seysses, stade préalable à une poursuite devant un juge, pour conditions de détention indignes et défaut d’accès aux soins. Preuves s’il en est que l’amélioration reste toute relative.
Au siècle prochain, on regardera les prisons d’aujourd’hui comme nous regardons les bagnes et les hôpitaux psychiatriques du XIXe siècle. Comme un symbole d’inhumanité.
Les Jours ont décidé d’enquêter sur les conditions de détention dans les prisons françaises et les violences qui y règnent, sous toutes leurs formes. Il y a de quoi faire tant la situation est catastrophique. Au 1er août 2022, au pays des droits de l’homme, 71 819 détenus écroués se partageaient 60 719 places de prison. Il y a 1 827 matelas au sol et autant de personnes qui y dorment, parquées à deux, trois, voire quatre dans des cellules de 9 mètres carrés, jusqu’à vingt-deux heures sur vingt-quatre. Depuis des décennies, cette réalité est régulièrement

Là-bas, tout semble consciencieusement se dégrader dans un lent pourrissement dont tous les acteurs pâtissent. Ajay en a fait les frais dès son arrivée en fin d’année dernière. Enfermé avec un homme au comportement inquiétant, ce trentenaire demande dès les premiers jours à changer de cellule dans un courrier adressé à l’administration. Pas de réponse. Le soir même, le codétenu se montre menaçant. Cette nuit-là, Ajay soutient avoir glissé sous la porte de la cellule une deuxième missive implorant de l’aide. Pas de réponse des surveillants qui, eux, disent ne pas l’avoir retrouvée. La nuit suivante, le codétenu le roue de « coups de poings, de pieds, de stylo bic, de lames de rasoir et de ceinture », d’après un certificat médical long de trois pages. Au milieu de ce déferlement de violence, Ajay réussit à appeler par l’interphone de la cellule. « Je leur ai répondu que personne n’était disponible et j’ai essayé d’apaiser la situation en leur demandant de faire leurs vies de leur coté », expliquera un surveillant aux gendarmes chargés de l’enquête. Au petit matin, c’est l’équipe de jour qui trouve Ajay « tremblant et ensanglanté », prostré contre la porte de sa cellule. Il patientera ensuite quarante-huit heures pour être examiné par un médecin et ne le doit qu’aux protestations de son avocate, Justine Rucel, stupéfaite de le trouver couvert de plaies à l’occasion d’un parloir. D’autant que si l’agression a bien été consignée dans le nouveau logiciel prévu à cet effet, elle n’a pas fait l’objet d’une saisine du procureur de la République, pourtant obligation légale de l’administration pénitentiaire face à de tels faits. Alerté par Me Rucel, le ministère public a immédiatement déclenché une enquête. Sans son avocate, le calvaire d’Ajay ne serait probablement pas sorti de ce logiciel. Celui-là même que le juge des référés estimera satisfaisant quelques mois plus tard. Le 1er avril dernier, Ajay a déposé un recours en responsabilité contre l’État pour défaut de surveillance et de protection.
On peut avoir plus de 100 détenus dans la cour. Ça serait insensé d’intervenir, c’est trop dangereux. S’il y a une grosse échauffourée, […] on essaie d’intervenir oralement et quand ça s’écarte, on récupère les blessés.
« On est trop peu, soupire Frédéric Le Stanc, secrétaire local du syndicat Ufap (Union fédérale autonome pénitentiaire). À l’ouverture en 2004, la règle était l’encellulement individuel. Après un an, on a doublé et c’est devenu l’horreur. Aujourd’hui, un surveillant seul doit gérer entre 100 et 120 détenus. On ne fait que de la sécurité et de la garde. Pour la réinsertion, on a envie de leur dire : “Repassez dans quelques années…” » Sollicité, le ministère de la Justice nous répond que six postes ont été créés. Il en manquerait une trentaine, selon les surveillants qui ont bloqué l’entrée de la prison la semaine dernière en signe de protestation. Au nombre de leurs malheurs, outre une direction jugée peu investie, les personnels pénitentiaires pointent une population carcérale « ingérable ». Dans leur viseur, ceux que tout le monde ici appelle les « clandestins ». Ce sont des Algériens originaires de la ville portuaire de Mostaganem qui immigrent à Toulouse dans la précarité et dont certains vivent de petits trafics. Au tribunal, ils sont aussi surnommés les « portes tournantes » en raison de leurs allers-retours entre les centres de rétention administrative et le centre pénitentiaire, fruits d’une politique pénale locale très sévère qui, selon un rapport du CGLPL de juin 2021, « aggrave encore la situation » à Toulouse-Seysses. « Ils parlent peu français et n’ont pas de limites parce qu’ils n’ont rien à perdre », détaille David Mathieu, du syndicat des personnels pénitentiaires. Au sein de la prison, ils ont pris le contrôle du business des « projections », ces colis lancés au-dessus les murs de la cour par des complices extérieurs. Conséquences : de nombreux affrontements dans une cour de promenade aux allures de coupe-gorge. « On n’y entre pas. L’établissement a été très mal construit, avec une cour de promenade unique. On peut donc avoir plus de 100 détenus qui s’y retrouvent. Ça serait insensé d’intervenir, c’est trop dangereux, décrit Frédéric Le Stanc. S’il y a une grosse échauffourée, c’est aux Eris [les unités d’intervention de l’administration pénitentiaire, ndlr] d’y aller mais c’est exceptionnel qu’ils le fassent. Alors on essaie d’intervenir oralement et quand ça s’écarte, on récupère les blessés et avec la vidéosurveillance, on essaie de démêler les responsabilités. » Le 1er novembre 2021, un homme est poignardé à huit reprises en promenade en raison d’un différend avec des « clandestins », sans que personne ne réagisse. Gravement blessé, il a été hospitalisé une semaine.

Une autre violence fait tiquer les surveillants quand on en parle. La leur. En 2021, le CGLPL dépeignait à ce propos un climat « très inquiétant » à Toulouse-Seysses. « Certains [détenus] évoquent des violences physiques, la plupart mentionnent des agressions verbales, des brimades et des refus de répondre à diverses demandes », écrit Dominique Simonnot. « Des fantasmes, s’agace David Mathieu. Je ne vais pas m’amuser à tabasser un détenu pour 2 000 euros par mois. Et avec toutes les caméras, comment on pourrait ? » L’an dernier, ils sont pourtant trois surveillants de Toulouse-Seysses dans deux affaires distinctes à avoir été condamnés à du sursis pour avoir sérieusement frappé des détenus. Un gros score à l’échelle nationale où ces bavures franchissent encore peu les murs d’enceinte. « C’est du craquage, ils pètent les plombs parce qu’ils sont poussés à bout, tente d’expliquer Frédéric Le Stanc. Certains font cinquante heures sup par mois en sous-effectif. Alors parfois, on craque. Mais il n’y a jamais de violence gratuite. » Un autre gardien précise : « On ne va pas travailler en se disant : “Tiens, aujourd’hui, je vais leur mettre des baffes.” Mais on a peu de moyens, donc on peut utiliser la force et il peut y avoir des dérapages, mais des dérapages contrôlés. » Nombre de faits allégués semblent toutefois plus pernicieux que des « baffes ». À l’image de ce détenu qui, dans un dossier auquel Les Jours ont eu accès, assure n’avoir pas eu de couverture pendant des mois malgré ses demandes répétées et qui s’en est plaint au juge des libertés et de la détention. À son retour d’audience, la pénitentiaire lui attribue en plein hiver une nouvelle cellule… dont la fenêtre est cassée. Il en est sûr : c’est la punition pour être allé devant le juge. « C’est ça, la prison », lui aurait lâché un surveillant. Quand on les leur évoque, ces derniers réfutent l’existence de tels comportements. « C’est le problème de la preuve, soupire un avocat toulousain. Les détenus n’osent pas toujours témoigner, craignant que cela entraîne encore une dégradation de leurs conditions de détention. »
Et même quand ils témoignent, elles ne s’améliorent pas souvent. Une nuit de l’été 2021, Jean se réveille. Il vient d’avaler dans son sommeil l’un de ces cafards qui grouillent sur les corps des détenus contraints de dormir sur les matelas au sol. « Je me suis senti très mal, témoigne-t-il aux Jours. Mon ventre a commencé à gonfler. » Personne ne s’en préoccupe pendant des semaines. Et lorsque Jean s’étonne de la façon dont il est traité, la réponse fuse : « Dans ton pays, vous êtes vingt par cellule, alors te plains pas », lui aurait asséné un surveillant, nous confie cet homme noir de 49 ans, étranger en situation régulière. Son avocat, David Nabet-Martin, engage une requête en reconnaissance des conditions indignes de détention afin d’obtenir sa libération anticipée, comme le lui permet une récente loi. Fin décembre 2021, le juge de l’application des peines rejette son recours. Motifs ? Ni les cafards ni la surpopulation carcérale ne suffisent à caractériser des conditions indignes. Certes, la situation est « inconfortable et malcommode », admet le magistrat, mais puisque Jean s’entend bien avec ses codétenus, « au delà des conditions matérielles, c’est bien entendu la relation humaine qui, dans un lieu de vie de toute façon ingrat, est primordiale ». Alleluia.

Début février 2022, les médecins lui diagnostiquent finalement une pneumopathie et une tuberculose multiviscérale, pathologie dont les cafards sont porteurs. Ironie du calendrier, la décision d’appel tombe quelques jours après son hospitalisation. Le deuxième juge, magnanime, infirme son collègue qui saluait la beauté des rapports humains dans 9 m2. Les conditions d’incarcération sont bel et bien indignes, estime-t-il dans une décision du 17 février. Pour autant, Jean ne peut s’en plaindre. N’est-il pas hospitalisé pour sa tuberculose, certes contractée en détention mais grâce à laquelle il n’y est plus, justement ? « Outre que des soins lui sont prodigués, se réjouit le magistrat, il en découle que les conditions dont il pouvait se prévaloir […] ne sont plus actuelles. » Ce veinard de Jean terminera sa peine sous écrou et suivra un lourd traitement médical à sa sortie. Le 18 juillet dernier, son avocat, Me Nabet-Martin, a déposé un recours indemnitaire devant la direction de l’administration pénitentiaire pour défaut de soins. De son côté, le ministère de la Justice nous a fait savoir qu’un parcours de soins plus effectif « était en cours de réalisation avec l’agence régionale de santé » pour éviter de tels manquements.
En l’attendant, à Toulouse-Seysses, on collectionne les maladies d’un autre temps. En mai 2021 déjà, un détenu avait contracté la leptospirose, une infection transmise par l’urine de rats. L’administration fait toutefois des efforts contre les nuisibles : furets pour chasser les rats, pièges à cafards, opérations de désinsectisation… « C’est aussi une question d’hygiène des détenus, estime un membre de la pénitentiaire. On leur distribue des produits, ils doivent faire le ménage. » C’est vrai : depuis une note de 1997, un kit d’hygiène doit être distribué aux détenus de toutes les prisons du pays. Il comporte un flacon de 120 ml d’eau de javel dont toute l’administration, de la direction au ministère, semble très fière puisqu’à chaque plainte de détenus en rapport avec la présence de cafards, elle leur oppose inlassablement qu’ils doivent utiliser ledit flacon pour s’en prémunir. Patatras début avril 2022 : lors d’une consultation des auxiliaires par la direction de Toulouse-Seysses, l’un d’eux soulève qu’il a ouï dire que la javel ne serait pas efficace contre les cafards. Pis, elle favoriserait leur reproduction, son odeur rappelant celle de leurs phéromones. Vérification faite, le bougre a raison. Le 6 mai 2022, la direction pond en catastrophe une note de service où la javel est sur-le-champ « proscrite en détention ». Sur ce point, le ministère de la Justice nous a répondu qu’il est « communément admis que la javel attire blattes et cafards ». Vingt-cinq ans après, il était temps de l’admettre, en effet. D’autant que si elle n’a plus droit de cité à Toulouse-Seysses, l’eau de javel continue d’être distribuée aux détenus dans nombre de prisons de France. Au plus grand plaisir des cafards.