L’idée de cet épisode s’est imposée en discutant avec Sébastien. Cet ancien détenu nous parlait de sa réadaptation au monde extérieur dans un café parisien, pas loin de l’endroit où travaille désormais ce quinquagénaire qui a passé plus de trois ans en prison. « Avant, quand j’étais dehors, je mangeais sans faire attention. Maintenant, je connais la faim. » Il l’a dit comme ça, pudiquement. Puis a précisé à notre demande : « J’ai connu la faim à Fleury-Mérogis. Au début, on dépend complètement de l’administration pénitentiaire. Ça peut être très difficile. Le fait de mal manger va se répercuter sur le moral, sur la santé. Sans famille, sans soutien, c’est très chaud. »
Alors, Les Jours ont décidé de creuser cette question méconnue de l’alimentation en prison. « C’est une problématique qui est noyée dans d’autres, avance Matthieu Quinquis, avocat et président de l’Observatoire international des prisons (OIP). On va rarement avoir quelqu’un qui nous dit : “Je vous écris parce que j’ai faim.” C’est à travers des signalements sur d’autres soucis qu’on va lire “Ah oui et on ne mange pas bien”. Quand il y a des plaintes, la plupart viennent d’établissements avec des marchés de délégation. »
C’est de la merde, c’est fade, sans goût, sans sel, sans rien. Quand tu manges leurs trucs, tu maigris.
En prison, la restauration des détenus incombe à l’État, c’est prévu par la loi. Elle peut être prise en charge directement par l’administration pénitentiaire ou bien, et c’est souvent le cas pour les grosses structures, être confiée à un prestataire extérieur au terme d’un marché de gestion déléguée. Soixante-dix-huit établissements sur 187 sont concernés par de tels contrats, dont les durées vont jusqu’à six ans et portent sur l’intendance, la maintenance ou l’organisation du travail en détention. Les principales entreprises sont des géants comme Sodexo, Gepsa, Elior ou Helios, qui sous-traitent parfois les missions de restauration à des entreprises spécialisées comme Eurest ou R2C.

Aux termes des marchés conclus à partir de 2015, les repas doivent être présentés dans des « contenants multi-portions » plutôt que dans des barquettes individuelles, réservées à certains quartiers spécifiques ou aux régimes alimentaires spéciaux. Dans le jargon, on parle de distribution « à la louche ». Concrètement, des détenus auxiliaires préparent en cuisine, un ou deux jours à l’avance, des menus élaborés au niveau national et délivrés par les entreprises prestataires. Ils les réchauffent le jour de leur distribution pour les dresser dans des bacs collectifs entreposés sur des chariots.