Il ne parlera pas. Ni de sa personnalité, ni de son rapport à la religion, ni des faits. À la place qu’il devrait occuper devant la cour d’assises spéciale de Paris ne trône qu’un silence aux accents turcs. Tandis que depuis plus de cinq mois l’audience parisienne bat son plein, Ahmed Dahmani purge une peine de prison à Izmir, sur la côte égéenne de Turquie. Il est l’un des six accusés absents, mais c’est le seul que l’on sait avec certitude vivant. Son nom, et son surnom, « GG », sont rappelés de temps en temps à la cour. Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, ses amis de longue date, évoquent parfois ses derniers mois en Belgique. Mais lui n’aura pas son mot à dire. « Toutes les tentatives réalisées auprès des autorités turques pour obtenir sa remise définitive ou temporaire sont demeurées vaines », indique l’ordonnance de mise en accusation. Une absence d’autant plus dommageable qu’Ahmed Dahmani aurait pu donner des réponses aux questions qui subsistent sur la préparation des attentats.
Le 13 novembre 2015, à 21 h 16, à Molenbeek, en Belgique, Ahmed Dahmani est attablé au café Time Out, souvent fréquenté par les futurs accusés. Ce soir-là, il y rencontre un ami, Ayoub Bazarouj, frère de Youssef et Bilal Bazarouj, tous deux en Syrie à l’époque. Sur les images de vidéosurveillance du bar, alors que la première explosion retentit à l’extérieur du Stade de France (lire l’épisode 2, « 13 novembre 2015, si longue est la nuit »), Ahmed Dahmani raccroche son téléphone, revient vers son ami. Ils se serrent la main, se prennent dans les bras. Les enquêteurs y ont vu une marque de congratulations.
Cette nuit-là, Ahmed Dahmani ne s’attarde pas au Time Out. Au petit matin, il a un avion à prendre. Plus tôt dans la journée du 13, le Belgo-Marocain a réservé une chambre dans un hôtel turc pour huit jours. À 7 heures du matin, le 14 novembre donc, il décolle de l’aéroport de Schiphol à Amsterdam pour celui d’Antalya, en Turquie. Comme prévu, il s’installe à l’hôtel Heaven Beach. Deux jours plus tard, la police turque vient l’y cueillir. Ceux qui devaient lui fournir une porte de sortie l’ont finalement mené à sa perte. Dans la voiture de deux hommes qui agissent visiblement comme passeurs pour le compte de l’État islamique, les policiers turcs trouvent un faux passeport syrien au nom de Mazen Mohamad Ali. Sur la photo, Ahmed Dahmani prend la pose.

Face aux Turcs, puis, six mois plus tard, face aux juges d’instruction belges et français, le grand ami de Salah Abdeslam tente d’expliquer ce qui, sous couvert de vacances, ressemble fortement à une fuite liée aux attentats.