Des centaines d’avocats et de victimes des attentats sont massés depuis des heures dans la salle spécialement aménagée au sein d’un palais de justice de Paris transformé en forteresse, entouré de centaines de gendarmes lourdement armés. Ce mercredi, c’est un bloc compact de robes noires qui s’interpelle, bavarde, tourne en rond dans ce curieux endroit, aux allures de palais des congrès. La salle d’audience aux boiseries claires est surplombée d’écrans de retransmission vidéo, pour que ceux qui sont assis dans le fond puissent voir ce qui se passe au loin, là où siègent les sept magistrats professionnels et où sont assis les accusés. Tous attendent d’abord de le voir, lui, Salah Abdeslam, le dernier survivant des dix qui ont semé la mort à Paris lors d’une terrible nuit, le 13 novembre 2015 (lire l’épisode 2, « 13 novembre 2015, si longue est la nuit »).
Il y a un petit problème technique avec la sonorisation et l’attente se prolonge, dans la lourde chaleur de l’été finissant de Paris. Lorsque les onze accusés détenus sont enfin amenés dans le box vitré par une escouade de gendarmes, on cherche à l’apercevoir. Détenu depuis son arrestation en Belgique en mars 2016, Salah Abdeslam est à l’isolement en prison, surveillé 24 heures sur 24 par des caméras. La folie le menaçait après quelques mois de ce régime, fin 2016, début 2017. En cellule, il ne parlait à personne, pas même à l’imam de la détention, se grattait partout sur le corps, inspectait les murs qu’il croyait couverts de glu, pensait qu’on voulait l’empoisonner. Les juges sont venus voir et ont adouci le régime, permis quelques parloirs mais on se demande s’il a retrouvé aujourd’hui ses esprits.

Sur le banc en bois, derrière la vitre, Salah Abdeslam s’est assis calmement, bras croisés, à l’extrême droite du box, vêtu complètement de noir, T-shirt à manches courtes, pantalon et masque, allure musculeuse, cheveux mi- longs, barbe fournie. Dans la salle de presse où les débats sont retransmis, ainsi que dans les salles d’audience où se serrent les victimes qui n’ont pas pu accéder à la salle principale, on se masse soudainement devant les écrans pour le scruter, on se le montre du doigt. Quand l’audience s’ouvre, le président de la cour Jean-Louis Périès procède à l’interrogatoire normal d’identité et commence par lui, premier dans l’ordre alphabétique. « Monsieur Salah Abdeslam, levez-vous. » L’accusé se lève et baisse son masque.