Il a surgi de nulle part au beau milieu de l’hiver ardennais. L’air abasourdi et le regard vide sous ses sourcils broussailleux. Sur la petite place devant la mairie de Liart, bourgade de 500 âmes, François Fillon semble exténué et complètement ailleurs. Micros et caméras traquent le moindre de ses mots, prononcés à bas bruit, ses gestes robotiques et sa mine défaite. En ce 2 février 2017, le candidat de la droite effectue son premier déplacement de campagne. Quatre jours plus tôt, lors d’un meeting à la Villette, à Paris, il était assis au premier rang, tenant ostensiblement la main de sa femme sous les bravos de militants regonflés à bloc. Une image de com millimétrée pour riposter aux révélations du Canard enchaîné qui, dans son édition du 25 janvier, a lancé une bombe sur le chemin tout tracé qui devait mener François Fillon à l’Élysée. Penelope, sa femme, aurait reçu 600 000 euros brut entre 1998 et 2007 en tant qu’assistante parlementaire de son mari puis de son suppléant, Marc Joulaud. Les emplois familiaux ne sont pas encore interdits à l’époque. À condition, évidemment, que le travail soit avéré. Et dans son enquête, le palmipède n’a trouvé aucune trace de l’activité de Penelope Fillon.
La campagne du favori de la présidentielle démarre par une communication de crise (lire l’épisode 1 de la série Les communicants) et ne s’en remettra jamais. Les révélations de presse qui suivent abondent dans le même sens. Au soir de ce déplacement hors-sol dans les Ardennes, l’émission Envoyé spécial exhume sur France 2 d’anciennes déclarations de Penelope Fillon. Dans une interview filmée donnée au Sunday Telegraph le 18 mai 2007, elle affirmait elle-même à propos de son rôle auprès de son mari : « Je n’ai jamais été son assistante ou quoique ce soit de ce genre. (…) Je ne m’occupe pas non plus de sa communication. » Elle décrit le quotidien d’une mère au foyer, qui a repris des études et s’occupe de ses cinq enfants. « Si je n’avais pas eu le dernier, je serais sans doute allée chercher un travail », ajoute-t-elle.

L’accusation ne devrait pas manquer de s’appuyer sur ces images dans le procès exceptionnel qui s’ouvre ce lundi 24 février devant le tribunal correctionnel de Paris, jusqu’au 11 mars. Les époux Fillon comparaissent notamment pour détournement de fonds publics et abus de biens sociaux. L’instruction des juges Serge Tournaire, Aude Buresi et Stéphanie Tacheau n’a pas permis de découvrir de traces probantes des travaux effectués par Penelope Fillon en échange de sommes récurrentes versées dès 1981. Cette année-là, François Fillon devient le plus jeune député de l’Assemblée nationale, à seulement 27 ans. Penelope perçoit déjà des sommes assez conséquentes en échange de rapports ou d’études pour son mari : 30 000 francs (4 573 euros), 15 000 (2 287 euros), 12 000 (1 829 euros)… Lorsqu’ils perquisitionnent, le 3 mars 2017, le manoir de Beaucé, propriété de la famille Fillon depuis 1993, les enquêteurs ne parviennent pas à mettre la main sur les rapports et les études effectués par Penelope Fillon.
À partir de 1998, les faits ne sont plus prescrits. Penelope Fillon touche cette fois un salaire de 20 752 francs (3 164 euros) comme assistante de son mari… Trois fois plus que celui de la secrétaire de François Fillon. Puis, de 2002 à 2007, elle est l’attachée parlementaire de Marc Joulaud, le suppléant de son époux, devenu ministre. Au total, Penelope Fillon aurait ainsi perçu un peu plus d’un million d’euros de 1998 à 2013. Sans avoir jamais sollicité l’attribution d’un badge d’accès au Palais-Bourbon. L’Assemblée nationale a prévu de demander le remboursement de cette somme en se portant partie civile au procès : elle considère que François Fillon, puis son suppléant Marc Joulaud, ont détourné de l’argent de leurs enveloppes parlementaires pour rémunérer Penelope Fillon. Un fidèle soutien des Fillon, l’homme d’affaires Marc Ladreit de Lacharrière, a, lui, déjà été condamné. Il a plaidé coupable pour avoir embauché Penelope Fillon à La Revue des deux mondes entre 2012 et 2014, à la demande de François Fillon, encore à Matignon. Les enquêteurs n’ont retrouvé que deux notes de lecture publiées.

Derrière les photos de la famille modèle, posant sur le gazon devant le manoir de Beaucé, dans leurs vêtements impeccables de notables de province, qui sont vraiment les Fillon ? Le couple mais aussi leur descendance seront au centre des débats. Car les enfants ont été mis à contribution pour faire remonter de l’argent dans les caisses familiales. Les deux aînés, Marie et Charles, ont obtenu des contrats d’assistant auprès de leur père. Ils n’ont touché qu’une petite part de leurs salaires (47 000 euros chacun), qui ont été versés sur un compte commun… appartenant à leurs parents. Ils devront s’expliquer sur la réalité de leur travail. Mais les juges n’ont pas entamé de poursuites à leur endroit, ils sont cités à comparaître comme simples témoins assistés.
François a toujours couru après l’argent. Il a toujours eu peur de manquer. Il a cinq enfants, un manoir à entretenir, des chevaux, il adore la course automobile…
L’image de François Fillon fondée sur la droiture et la probité a volé en éclat pendant la présidentielle

Fillon, lui, ne varie pas. Sa ligne de défense est constante. L’émission Vous avez la parole sur France 2, le 30 janvier dernier, lui a offert deux heures de direct pour s’expliquer. Il a assuré : « Penelope a été ma première et ma plus importante collaboratrice. » Selon l’ex-candidat, elle travaillait dans la Sarthe, gérait le courrier parlementaire, l’agenda local, relisait les discours… Attention à ne pas « codifier, fonctionnariser, le travail des assistants parlementaires (…). N’enfermons pas cette fonction dans des codes qui nuisent à la démocratie », a même lancé Fillon. La fameuse (et dérangeante) interview de sa femme au Sunday Telegraph ? « Le mot “assistant parlementaire” est différent en anglais », a-t-il tenté, sans convaincre. Pendant la présidentielle, le candidat aux abois avait dénoncé un « cabinet noir » à l’Élysée qui œuvrait pour nuire à sa candidature. Là, François Fillon a rétropédalé : « J’ai tourné la page, je n’ai pas les moyens de mener une enquête… » Mais c’est pour mieux charger la justice et la célérité du Parquet national financier (PNF), qu’il avait fait huer pendant la campagne. « J’ai été traité d’une manière injuste. La procédure conduite contre moi a été complètement à charge. Jamais on n’a vu un juge nommé un jour, et être convoqué quatre jours après pour une mise en examen sans même avoir ouvert les dossiers », s’est-il à nouveau indigné. Pas sûr que cet argument soit porteur au tribunal.
D’autant que, à moins d’un mois de l’ouverture du procès, l’opération de com en prime time, préparée notamment avec sa communicante Anne Méaux, ressemble au genre d’exercice qui déplaît aux juges. « Il avait à cœur de s’expliquer, de donner sa version des faits, loin du vacarme de la campagne », plaide son avocat Antonin Lévy auprès des Jours. Sans faire aucune concession sur l’affaire, François Fillon a juste dit « regretter » une de ses phrases qui n’est pas passée inaperçue pendant la primaire, fin 2016 : « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » Lancée pour stigmatiser ses concurrents, elle avait beaucoup agacé ses adversaires. Ces regrets visent à faire taire les guerres intestines dans son camp, en particulier celle ayant opposé les clans Sarkozy et Fillon, qui se vouent une haine tenace. Mais aussi la bataille avec Jean-François Copé, à l’automne 2012, pour la présidence de l’UMP. Selon la teneur des débats, le procès peut aussi raviver de vieilles rancunes. La question hante encore beaucoup d’esprits chez Les Républicains ou les ex-LR passés chez Macron pendant la débâcle de la campagne : qui a balancé les infos au Canard ? Permettons-nous de donner un élément de réponse : souvent les peaux de banane viennent de son propre camp.
Aujourd’hui, François Fillon l’assure, il ne se relancera pas en politique. Même si, dans son proche entourage, ils sont plusieurs à penser qu’il n’a pas totalement renoncé. « Si une occasion se présentait, il ne la laisserait pas passer », souffle-t-on à l’oreille des Jours. François Fillon risque toutefois une peine maximale de dix ans de prison, qui pourrait être assortie d’une peine d’inéligibilité. Après la présidentielle, l’intéressé a vite retrouvé du travail. Dès le mois d’août 2017, l’ancien Premier ministre est entré comme associé chez Tikehau Capital, fonds d’investissement dont la communication est gérée depuis sa création en 2004 par Image 7, l’agence d’Anne Méaux. « Il assiste les équipes opérationnelles, donne des conseils, leur délivre son expertise et leur ouvre son carnet d’adresses », explique-t-on chez Tikehau. Sans donner plus de détails. Finalement, dans l’attente de son procès, l’obsession de François Fillon est devenue le cœur de son activité : l’argent.
Mis à jour le 24 février 2020 à 15 h 05. Du fait de la grève des avocats contre la réforme des retraites, ce lundi, le procès Fillon a été repoussé de deux jours et débutera ce mercredi.