À l’image, au-dessus de son costume gris, Nicolas Sarkozy arbore de larges cernes et un visage crispé. Depuis deux ans, il n’a plus pris la parole publiquement. Au soir du 2 juillet 2014, l’ancien président de la République sort de son silence. « J’ai estimé que la situation était suffisamment grave pour que je dise aux Français ce qu’il en était de l’instrumentalisation politique d’une partie de la justice… », lance-t-il aux deux journalistes face à lui, Gilles Bouleau et Jean-Pierre Elkabbach. Dans une interview enregistrée d’une vingtaine de minutes, diffusée à 20 heures sur TF1 et Europe 1, l’ex-chef de l’État se livre à un virulent réquisitoire contre la justice et l’exécutif en place, devenu socialiste depuis sa défaite, en mai 2012, au second tour de la présidentielle face à François Hollande. « Il y a des choses qui sont en train d’être organisées », dit-il aussi, semblant évoquer un complot politico-judiciaire, sans apporter le moindre élément tangible. La nuit précédente, après une journée de garde à vue
Les affaires Sarkozy sont comme des poupées russes qui s’imbriquent les unes dans les autres. L’affaire des écoutes, qui sera jugée jusqu’au 10 décembre, est directement reliée à l’affaire libyenne, sur les soupçons de financement illégal de sa campagne présidentielle de 2007, via des fonds en provenance de la famille Kadhafi. Elle est aussi connectée à l’affaire Bettencourt, dans laquelle Nicolas Sarkozy a bénéficié d’un non-lieu en octobre 2013, les juges d’instruction ayant estimé que les charges retenues contre lui étaient insuffisantes pour un renvoi devant le tribunal.
Vu que tu es sur place, si jamais t’as l’occasion, t’oublies pas, si tu as la possibilité, de dire un mot pour Gilbert. Pour le Conseil d’État. Le poste qui se libère…
Nicolas Sarkozy, décidément, donne du fil à retordre aux juges. Ceux instruisant l’affaire libyenne depuis avril 2013 l’ont placé sur écoute en septembre de la même année. Début 2014, ils découvrent qu’il utilise une ligne secrète, sous le nom d’emprunt de « Paul Bismuth », pour communiquer avec son avocat Thierry Herzog. Et les échanges entre les deux hommes laissent entrevoir, selon l’accusation, un pacte de corruption. On y entend l’ancien Président promettre d’intervenir en faveur de Gilbert Azibert, haut magistrat de la Cour de cassation, pour l’obtention d’un poste à Monaco. « Je l’aiderai (…). Moi, je le fais monter », assure Nicolas Sarkozy dans une conversation avec son avocat. Lequel lui rappelle, la veille d’une visite en principauté de Monaco, le 25 février 2014 : « Vu que tu es sur place, si jamais t’as l’occasion, t’oublies pas, si tu as la possibilité, de dire un mot pour Gilbert. Pour le Conseil d’État. Le poste qui se libère… »
Ce coup de pouce en haut lieu est envisagé contre service rendu, comme le révèle alors Le Monde : Gilbert Azibert est accusé d’avoir fourni des informations sur la saisie des agendas privés et officiels de Nicolas Sarkozy dans le cadre de l’affaire Bettencourt. Depuis qu’il a bénéficié d’un non-lieu, Nicolas Sarkozy demande l’annulation de cette procédure afin d’éviter que ses agendas, déjà versés dans l’affaire Tapie-Adidas, ne le soient dans d’autres affaires le concernant, comme le dossier libyen. Il s’est pourvu en cassation ; la décision est attendue pour le 11 mars 2014. Comme l’a révélé Mediapart, les conversations entre Nicolas Sarkozy et son avocat datant de début 2014 montrent que Gilbert Azibert travaille activement pour le clan Sarkozy. Il ne se contente pas de se renseigner sur l’évolution des tendances au sein de de la Cour de cassation, il intervient aussi auprès de plusieurs conseillers chargés d’examiner la validité des actes d’instruction de l’affaire Bettencourt. Dans une discussion, le 29 janvier, Thierry Herzog se félicite du travail de Gilbert Azibert : il a « bossé », dit-il à Nicolas Sarkozy. L’informateur est alors persuadé, d’après ses contacts, que le rapporteur est favorable à l’annulation de la procédure de saisie des agendas
Le 26 février 2014, le tout nouveau Parquet national financier (PNF), tout juste créé après l’affaire Cahuzac, ouvre une information judiciaire, confiée aux juges Patricia Simon et Claire Thépaut. Deux ans plus tard, en mars 2016, elles ont terminé leur enquête. La Cour de cassation valide la quasi-totalité des écoutes, dont Nicolas Sarkozy avait contesté la légalité. Le dernier obstacle au renvoi de l’ancien chef de l’État devant le tribunal tombe. C’est une défaite majeure pour Nicolas Sarkozy qui a multiplié les recours contre l’instruction, dans la perspective d’une éventuelle candidature à la présidentielle de 2017. Lui et son avocat, ainsi que Gilbert Azibert, avaient aussi saisi la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, en vain, celle-ci validant l’essentiel de la procédure en mai 2015. Au procès qui commence ce lundi, la validité des écoutes ne manquera pourtant pas de revenir au centre des débats. Patrice Spinosi, avocat de Nicolas Sarkozy, l’a contestée avec constance et virulence, dénonçant des « écoutes au long cours, à filet dérivant ».
Les débats promettent d’être tendus. Dans leur cinglant réquisitoire du 4 octobre 2017, les juges du PNF ont comparé les méthodes utilisées par Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog à celles de « délinquants chevronnés ». Leur enquête ne manquera pas d’être mise sur la sellette, comme elle l’est régulièrement par les accusés dans les affaires politico-financières. D’autant que celle des écoutes est à rebonds multiples. Plus de sept ans après les faits, en juin dernier, une crise s’est ouverte au sein du Parquet national financier à la suite des révélations du magazine Le Point. Parallèlement à l’information judiciaire pour corruption et trafic d’influence, le PNF a lancé, dès 2014, une enquête préliminaire pour identifier une éventuelle taupe ayant informé Nicolas Sarkozy et son avocat qu’ils avaient été mis sur écoute. Le 25 février 2014, les deux hommes ont en effet arrêté d’utiliser la ligne au nom de Paul Bismuth et ont rebasculé vers leurs téléphones personnels. Plusieurs magistrats et ténors du barreau, dont certains ayant tenté de joindre Thierry Herzog ce jour-là, ont vu leurs fadettes