Dona Jane ne nous reçoit pas dans son nouveau quartier de Colônia, mais sur un terrain qui appartient à sa famille, juste en face du parc olympique à Rio. Pendant l’entretien, les clameurs des supporters de tennis se font entendre régulièrement. Au milieu des immenses tours de luxe flambant neuves, ce petit terrain ombragé regroupant la dizaine de petites maisons de proches de Dona Jane fait figure d’anomalie. Les investisseurs ne s’y trompent pas et lorgnent sur le terrain depuis des années. Sauf qu’ici, tout est légal, mon père a acheté le terrain dans les années 70, quand personne ne voulait venir ici. Mais on sent bien que ce n’est plus un quartier pour les pauvres.
Pour autant, Dona Jane est partante pour une nouvelle bagarre. Les propriétaires du magasin voisin appartenant à une grande chaîne multiplient les mesures d’intimidation, la police a déjà débarqué en force, mais rien n’y fait. Sa famille a un titre de propriété en règle. Et puis Dona Jane n’a pas digéré sa défaite à Vila Autódromo, rasée au nom des Jeux olympiques et de la spéculation immobilière, et refuse de se laisser marcher sur les pieds une nouvelle fois.
J’y ai habité de 2002 à 2015. J’étais tellement heureuse là-bas…
À Vila Autódromo, elle s’est acheté une maison à 10 000 réaux (2 750 euros) quand le terrain familial est devenu trop exiguë pour accueillir tout le monde. En 2007, elle comprend que les grands évènements sportifs menacent sa favela d’adoption, et s’engage à fond dans la lutte. Mais en 2014, son corps craque. Je suis tombée malade et j’ai frôlé l’infarctus. J’ai senti qu’il fallait que je négocie, ou j’allais y rester.

Aujourd’hui, elle vit toujours sous pression. Elle parle pour ne pas tomber dans l’oubli. Je dois continuer à militer pour qu’ils ne puissent pas s’attaquer à moi sans faire de bruit, mais je ne peux pas trop m’exposer
, explique-t-elle d’une voix basse. C’est pour cela qu’elle nous a donné rendez-vous loin de Colônia : elle ne voulait pas y être vue avec des journalistes. J’ai des filles, tu comprends. Je veux pouvoir dormir en paix.
Elle évite d’en dire trop mais confirme à demi-mot : une milice fait la loi dans son quartier. À ce moment, sa fille, vissée sur Facebook depuis le début de la conversation, lève les yeux de son écran et intervient sèchement : Maman, c’est mieux si tu t’arrêtes là.
Les milices sont apparues à la fin des années 90 dans les banlieues de Rio de Janeiro, formées par des agents de sécurité, des pompiers et des policiers en service ou à la retraite.