Loin de Vila Autódromo, dans la zone Nord de Rio, la favela de Manguinhos et ses 40 000 habitants traînent une triste réputation. Le taxi qui nous dépose, un habitué de la zone Sud, n’est pas très à l’aise et nous met plusieurs fois en garde. Quand on lui explique que tout ira bien, il continue de maugréer : Dieu me garde de revenir ici, c’est la zone… J’ai jamais mis les pieds ici et je reviendrai pas.
Sur le bord oriental de la communauté, à côté de la station de métro aérienne, le décor est chaotique et invite à la prudence. Pour laisser la place à une trois voies, le gouvernement a expulsé 900 familles entre 2009 et 2013 et détruit bon nombre d’habitations. Certaines ne l’ont été qu’à moitié et donnent une image glauque de la favela pour les voitures qui la longent. Il y a quelques années, la maison d’Ana Paula se dressait là où s’étale aujourd’hui le goudron. Depuis son expulsion, elle suit de près le combat des habitants de Vila Autódromo, dont certains ont refusé de quitter leur favela et obtenu gain de cause (lire l’épisode 2, « Les résistants de la favela »). Comme eux, elle fait partie d’une génération de nouveaux militants qui refusent de subir les abus liés à l’organisation des grands évènements tels les Jeux olympiques en silence.
Ana Paula continue de vivre à Manguinhos où elle a réussi à se reloger, plus au centre. Sur le chemin pour s’y rendre, la vie suit son cours paisiblement. Les gosses jouent sur un terrain de foot, les gens s’arrêtent pour se saluer et à 14 heures, certains sont déjà accoudés au bar. Mais les nombreux impacts de balles sur les murs rappellent l’autre face de la favela, celle qui obsédait le taxi. L’« unité de police pacificatrice » (lire l’épisode 3, « Police et favelas : “Des pauvres qui tuent des pauvres” »), installée ici en 2013, n’a pas vraiment changé la donne pour les habitants, au contraire. Ce n’est pas, comme à Vila Autódromo, la destruction de sa maison qui a poussé Ana Paula à se jeter dans la lutte : depuis son installation à Manguinhos, l’unité « pacificatrice » a tué neuf personnes, dont le fils d’Ana Paula, le 14 mai 2014.

Ce jour-là, vers 15h30, son fils Johnatha, 19 ans, sort de chez lui pour raccompagner sa petite amie et apporter un gâteau à sa grand-mère sur le chemin. Une fois sa mission accomplie, Johnatha prend le chemin du retour. De sa fenêtre, sa grand-mère lui crie :