En 2022, quand Total est attaqué, son PDG répond. Patrick Pouyanné est un habitué des médias et un utilisateur des réseaux sociaux qui parle simplement et revendique ses émotions pour défendre ses intérêts comme ceux de son groupe. Il s’est ainsi dit sur Twitter « fatigué » qu’on lui parle de ses augmentations de salaires ou « en colère » qu’on l’accuse de complicité de crimes de guerre en Russie. Il évoque aussi ses enfants dans Le Monde, qui « ont des convictions fortes en environnement », pour démontrer qu’il n’est pas insensible à l’écologie. Cela ne convainc pas tout le monde (le tweet sur ses émoluments a été beaucoup moqué), mais c’est la plupart du temps efficace. Comme l’a remarqué L’Humanité, son audition à l’Assemblée nationale dans le cadre de la mission flash sur les superprofits (lire l’épisode 1, « Total : le plein de superprofits, le vide d’impôts »), le 21 septembre dernier, s’est révélée une promenade de santé. Les députés n’avaient aucun argument pour le déstabiliser.
En 1974, après la publication du rapport du député Julien Schvartz (lire l’épisode 2, « 1974, la pénurie d’impôts frappe Total »), l’ambiance est très différente. Accusée d’entrave à la concurrence et de profiter d’un système fiscal très favorable, la Compagnie française des pétroles (l’ancien nom de Total) est prise de court. Symboliquement, son PDG, René Granier de Lilliac, est complètement absent des médias durant cette période difficile. C’est le directeur général Étienne Dalemont qui défend la compagnie au journal télévisé de la première chaîne. Et il ne le fait pas bien, utilisant un langage technique et châtié pour dénoncer des « insinuations malveillantes et sans fondement ». Mais cette crise est formatrice. L’industrie pétrolière se rend compte que, si elle ne veut pas voir son image durablement abîmée, elle doit s’expliquer. Comme l’écrivent alors, dans l’ouvrage Pétrole, le vrai dossier, deux représentants de l’Union des chambres syndicales de l’industrie du pétrole (Ucsip), le lobby des compagnies, la « profession pétrolière n’a pas, dans le passé, prêté une attention suffisante à l’information du public, accaparée par les difficultés croissantes rencontrées dans l’accomplissement de ses tâches ». À partir de 1975, ce ne sera plus le cas : une énorme campagne de communication est lancée à partir de thèmes qui, cinquante ans plus tard, continuent à être brandis par Total.

Il faut quelque temps à l’industrie pétrolière pour mettre au point sa défense.