Mis en place dans les mairies lors de la crise des gilets jaunes, les cahiers de doléances sont désormais loin des regards, dans les archives départementales. Coups de gueule, idées, encouragements : les citoyens y interpellent Emmanuel Macron. Cet été, tous les midis, « Les Jours » vous en partagent un extrait, brut.
«Monsieur le président,
“Je vous fais une lettre, que sans doute vous n’aurez pas le temps de lire.” Toutefois, je souhaite contribuer dans le cahier de doléances à exprimer ce que je pense de la situation politique et sociale actuelle. Dans votre “Lettre aux Français”, vous n’apportez aucune des réponses attendues sur les raisons du conflit en cours. Le mécontentement qui se développe est dû, sans aucun doute, à l’accumulation de mesures de régression sociale, résultante de politiques menées par des gouvernements de gauche sociale-démocrate et de droite durant les dernières décennies et donc du mal-vivre qui en découle.
Et vous, Monsieur le Président, vous arrivez… arrogant et méprisant à l’égard du peuple, porteur de la seule volonté d’être au service des plus riches. Vous programmez des réformes qui réduisent ou anéantissent tout ce que nos anciens ont conquis par leurs luttes. Président des riches ? Pour tous ceux qui veulent comprendre pourquoi, il suffit de se référer à ces réunions du groupe Bilderberg. Lors de la réunion à Francfort le 21 mars 2016, vos parrains réunis ce jour-là ont décidé de vous épauler pour la création d’un parti dévoué à leurs causes. Les membres de cette “amicale” : Henri de Castries, président d’AXA, Gattaz du grand patronat, Mario Draghi (Banque centrale européenne)… Des financiers et grands patrons, des patrons des groupes de presse : Bolloré, Drahi, Bergé. Cette “amicale” a vu en vous “l’opportunité d’infléchir la politique économique et industrielle pour contrer les syndicats et pour instaurer une politique libérale à l’anglo-saxonne” (Cf. Google).
La suppression de l’ISF est le marqueur le plus évident de vos objectifs de classe dominante. Vos cadeaux aux plus riches sont estimés à plus de 200 milliards, alors que vous faites payer le déficit public au peuple (actifs et retraités) bien qu’il ne soit en rien responsable de la gestion de l’État (le déficit est passé de 1 200 milliards à 1 800 lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy, à plus de 2 200 avec François Hollande). Par votre politique, selon une étude économique récente, vous continuez à l’amplifier…
Pourtant :
- vous réduisez les moyens alloués aux collectivités locales…
- vous réduisez la présence de tous les services publics de proximité indispensables pour vivre correctement et dignement…
- vous poursuivez le massacre de l’industrie, les délocalisations, les fermetures de sites, (il y a 20 ans, l’industrie employait plus de sept millions de salariés, aujourd’hui c’est 2,8 millions).
- vous réduisez avec la loi travail les droits des salariés et leur protection…
- vous accentuez les exonérations des cotisations sociales patronales pour mettre à mal la protection sociale, réduire les recettes de la Sécu, réformer le système de retraite solidaire et ouvrir grand les portes à vos amis assureurs…
- vous n’envisagez rien pour réduire le reste à charge des familles ayant un proche dans les Ehpad.
- vous négligez la fracture numérique, les personnes âgées, celles ne possédant pas internet, ceux n’en maîtrisant pas la pratique. Ils ne peuvent plus effectuer les démarches administratives, beaucoup n’ont pas les moyens financiers pour s’équiper…
- la durée du temps pour obtenir une communication téléphonique avec de nombreux services est insupportable…
- vous ne mettez pas en œuvre de nouvelles dispositions pour stopper le harcèlement téléphonique que subissent en particulier les personnes âgées (Bloctel est contourné).
La liste des méfaits et désagréments de votre politique est infiniment plus importante. En particulier, les salaires ne sont pas valorisés à la hauteur réelle du coût de la vie, vous avez amputé les pensions de retraite. La loi alimentation va encore aggraver le pouvoir d’achat. Dans le même temps, les actionnaires ont bénéficié de dividendes exceptionnels, insuffisamment taxés. Les salariés ne sont-ils pas, par leur travail, les véritables créateurs des richesses de leurs entreprises ? Pourquoi pas, par mesure de justice, un Smic à 1 800 euros indexé sur le taux d’augmentation des dividendes versés aux actionnaires ? Cela donnerait des moyens formidables pour le ruissellement économique. L’inclusion de ce fondement pour les pensions de retraite serait un progrès social pour tout le peuple.
Après avoir évoqué le besoin d’égalité, de fraternité et de justice, il reste la liberté et la démocratie… Ayant participé au rassemblement GM&S lors de votre venue à l’EATP (École d’application aux métiers des travaux publics) d’Égletons, en Corrèze, j’ai très mal vécu ce qui s’est passé. Vous n’avez pas daigné recevoir une délégation d’élus et de salariés en lutte. Nous étions 200 dont 60 élus, votre police était deux fois plus nombreuse. Mais surtout, face à des salariés non violents, soutenus par des maires et autres élus, la seule réponse que vous ayez apportée a été de les bousculer sans prévention ni sommation, de les “gazer”. Tout le monde pleurait. La presse locale a cité votre propos nous accusant de “foutre le bordel”. Cette brutalité indigne est inquiétante sur les pratiques autoritaires et répressives que vous envisagez pour faire taire ceux qui luttent sans intentions de violence. Vous connaissez les casseurs, vous les avez recensés, c’est à eux qu’il faut vous en prendre, pas à ceux qui luttent pacifiquement pour améliorer leurs conditions de vie. Votre projet de loi sur l’interdiction administrative de manifester a des relents de pétainisme.
Monsieur le Président, je reste persuadé que vos parrains n’accepteront jamais que vous remettiez en cause leurs privilèges, alors, sachez que “je ne vendrai pas mon âme au diable” et que “vous n’aurez pas ma façon de penser”… Enfin, pour reprendre Boris Vian, “…sachez que je serai sans arme et qu’ils…”, mon seul moyen de lutte sera de poursuivre mon combat de militant pour le progrès social, un progrès attendu par une majorité de Français. »