C’est un geste que j’ai vu chaque chauffeur croisé dans cette obsession accomplir. Un geste furtif : appuyer sur un ou deux boutons d’un boîtier noir mystérieux, en général situé au-dessus du volant. Les routiers le font mécaniquement mais avec assiduité, car le chronotachygraphe – c’est le petit nom du boîtier – est le témoin de leur sérieux quand ils conduisent.
« Le chronotachygraphe, c’est la version moderne du disque en papier qui équipait les camions, m’explique Sylvain Letang, chauffeur pour les Transports Briche, sur la route que nous avons effectuée ensemble entre Limoges et Paris. On y insère une carte personnelle et il enregistre tout ce qu’on fait : heure de départ, heure d’arrivée, les pauses, la vitesse… Il peut être contrôlé sur la route ou dans les locaux de mon entreprise. » Ce même chronotachygraphe se retrouve aujourd’hui au cœur des discussions sur le contrôle des mouvements des poids lourds en Europe, où sévit une guerre froide entre chauffeurs de l’Est et de l’Ouest sur fond de dérégulation. Les députés européens doivent en parler lors des débats sur le « paquet mobilité », qui fait reposer beaucoup de choses sur ce petit boîtier noir.
Car le chronotachygraphe pourrait, dans les rêves de certains, régler une bonne partie des crispations actuelles entre les pays européens sur la question du transport routier. Vérifier qu’un camion venu décharger dans un pays n’y reste pas des semaines entières alors qu’il n’a pas le droit ? Chronotachygraphe.