François-Régis Croisier est professeur d’une classe de CM1-CM2 à l’école Ferdinand-Buisson de Clermont-Ferrand. Sur « Les Jours », on le connaît aussi comme chanteur, sous le pseudonyme de Pain-Noir : nous l’avions suivi dans la série « Chant/contrechamp ». Nous l’avons également déjà interrogé sur son travail d’enseignant au début de la crise sanitaire, le 16 mars dernier (lire l’épisode 4, « “Quand t’es instit, t’es habitué à ce qu’on te laisse tomber” »). Il était devant sa télévision ce lundi 13 avril lorsqu’Emmanuel Macron a annoncé la volonté du gouvernement de commencer à renvoyer les élèves dans les écoles à partir du 11 mai (lire l’épisode 48, « 11 mai : un homme et un confin »). À sa grande surprise.
«Je trouve ça lamentable d’envoyer les gamins au casse-pipe. Les inégalités se creusent dans cette période, c’est indéniable (c’est ce qu’a déclaré le président de la République ce lundi, ndlr), mais j’ai beaucoup de mal à croire que c’est la motivation première. Bien sûr que c’est avant tout pour libérer les parents afin qu’ils se remettent au boulot. Dans mon école, située dans un quartier très populaire, il y a un ou deux élèves par classe qui sont injoignables : on n’est pas sur une déshérence complète. De plus, j’ai pas mal d’enfants maghrébins, indiens ou de Mayotte, qui vivent avec deux ou trois générations. Ils sont au contact de leurs grands-parents tous les jours ; les renvoyer à l’école, je trouve ça doublement dangereux.
On ne peut pas demander à des enfants entre 3 et 10 ans d’appliquer les gestes barrière ou de se promener avec un masque. Quant à moi… Enseigner, c’est un métier de communication, on perdra forcément dans la transmission. Alors, on fait comment ? Je ne sais pas. Supprimer les récréations ? La restauration scolaire ? Mais les parents ne remettront pas leurs gamins à l’école s’il n’y a pas de cantine. Tout ça me paraît inapplicable, en fait. Même en faisant classe en demi-groupe, on aura une certaine proximité. Ma salle de classe est assez grande, mais ça ne sera pas suffisant. Loin de là. D’autant que, depuis un mois, on a trouvé nos marques avec la classe virtuelle et je me demande si ce n’est pas aujourd’hui plus efficace que d’être face à eux, en demi-classe, dans des conditions surréalistes. Mes élèves, je les ai trois fois par semaine en classe vidéo ; le reste du temps, je leur donne du travail à faire et je reste très disponible par mail. On a trouvé des façons de faire, il y a une écoute qui s’est créée, un rythme.