L’image est un classique des grands meetings qui rythment une campagne présidentielle. En ce dimanche 13 février, Valérie Pécresse fend la foule des militants Les Républicains au Zénith de Paris avant de monter sur scène, les bras levés, en quête de victoire
En costume noir, debout devant un pupitre transparent, elle multiplie les saillies empruntées à l’extrême droite : « Dans dix ans, serons-nous encore la septième puissance du monde ? Serons-nous encore une nation souveraine ou un auxiliaire des États-Unis, un comptoir de la Chine ? Serons-nous une nation unie ou une nation éclatée ? Face à ces questions vitales, pas de fatalité. Ni au grand déclassement, ni au grand remplacement », lance-t-elle notamment, reprenant à son compte la théorie complotiste et raciste du « grand remplacement », ne reposant sur aucun fait objectif. Relayée par le candidat Éric Zemmour, condamné pour « provocation à la haine raciale » le 17 janvier, la formule est aussi régulièrement employée par le président du Rassemblement national, Jordan Bardella. « Marianne n’est pas une femme voilée », lâche encore Valérie Pécresse, avant de parler de « zones de non-France », dans un discours préparé plusieurs semaines en amont par Igor Mitrofanoff, qui fut pendant plus de trente ans la plume attitrée de François Fillon (lire l’épisode 12 de la série Les communicants). Près d’une heure durant, la candidate LR manie les thèmes identitaires et sécuritaires pour ne consacrer que deux petites minutes à l’école ou à la santé ; une dizaine seulement à l’économie. Sur la forme, elle semble, tout du long, se faire l’interprète peu convaincue d’un texte qu’elle n’a pas écrit. Avec un décalage permanent entre le contenu du discours et la façon de le prononcer.
Au lendemain de ce meeting présenté comme déjà décisif, la présidente de la région Île-de-France ne tarde pas à reconnaître son ratage, dans la matinale de RTL : « Je suis plus une faiseuse. Des orateurs, il y en a d’autres dans mon équipe de campagne. Je suis plus à l’aise dans le dialogue direct avec les Français. » Oui mais voilà, les meetings sont une tradition à droite, où l’on se montre volontiers attaché à la fonction tribunicienne incarnée autrefois par le général de Gaulle ou André Malraux, plus récemment par Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy : autant de figures tutélaires citées en référence, dimanche, dans le discours de Valérie Pécresse. Réussir l’exercice importait donc, y compris pour tenter de marquer enfin les esprits, dans une présidentielle qui peine à intéresser l’opinion, tous candidats confondus.
Au rang des outils à disposition pour tenter de mobiliser et éviter un nouveau record d’abstentionnistes, les meetings figurent en bonne place. Mais avec une cinquième vague de Covid et l’arrivée du variant Omicron, la présidentielle 2022 n’est pas des plus propices aux démonstrations de force. Les grands meetings ne se sont pas multipliés ces derniers mois
Rompu aux foules et à l’exercice, Jean-Luc Mélenchon s’y est employé malgré tout. En 2017, près de 60 % de ses dépenses de campagne ont été consacrés à ses meetings, quand ces derniers représentaient entre 35 et 45 % des frais des autres candidats. Le 16 janvier, il a proposé une immersion visuelle et olfactive autour de grands thèmes comme la mer ou l’espace, au parc des expositions de Nantes, où 3 000 personnes s’étaient massées. Mais la prouesse technique n’a pas fait parler d’elle plus de 24 heures, loin de l’impact des ses multimeetings avec hologrammes, organisés en 2017, devant des dizaines de milliers de supporters (lire l’épisode 5 des Communicants). À Montpellier, ce dimanche 13 février, Jean-Luc Mélenchon a décliné ses propositions-phares, comme le smic à 1 400 euros net par mois, dans un format beaucoup plus classique, devant 8 000 personnes. « Bien sûr que la pandémie nous a contraints, reconnaît Bastien Lachaud, responsable des événements de la campagne du candidat de l’Union populaire. Mais nous avons continué à organiser de grands événements, en nous adaptant. Car le meeting reste la meilleure façon de mobiliser et de sensibiliser à grande échelle. Jean-Luc Mélenchon n’attire pas que des militants, ses meetings sont remplis de personnes qui souhaitent l’écouter et voir comment son programme est mis en scène », assure-t-il, en promettant de mystérieux effets de scénographie inédits avant le premier tour.
Autre son de cloche du côté de la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen. Son premier grand meeting, organisé au parc des expositions de Reims, s’est tenu le 5 février, après avoir été reporté de trois semaines. Un seul autre événement de cette dimension est prévu avant le premier tour, selon son équipe. Son peu d’empressement aux grandes démonstrations de force est confirmé par le dircom de sa campagne, l’ancien journaliste Philippe Ballard : « C’est la France des oubliés et des ronds-points qui intéresse Marine Le Pen. Elle va multiplier les petits meetings dans des villes où aucun candidat ne se rend. Là où il y a beaucoup de Français à convaincre. » En 2017 déjà, la candidate avait privilégié les prises de parole dans les petites communes, parfois dans des granges, au milieu des ballots de paille. Des sorties beaucoup moins onéreuses que les grands raouts dans les salles de spectacle et autres parcs des expos : ses comptes de campagne de 2017 montrent que ces événements restreints ont coûté entre 60 000 et 120 000 euros. Là où les grands meetings peuvent approcher, voire dépasser, le million d’euros : 400 000 euros pour le meeting de François Fillon à la Villette le 29 janvier 2017, 900 000 euros pour celui de François Hollande au Bourget le 22 janvier 2012, jusqu’à plusieurs millions d’euros pour « le meeting de la dernière chance » de Nicolas Sarkozy au Trocadéro la même année
Il y a généralement une croyance très installée au sein des équipes de campagne qui consiste à penser qu’un meeting peut peser fortement sur l’opinion. C’est faux. Un meeting rassemble des convaincus, des sympathisants ou des curieux, mais ne dit pas grand-chose de l’électorat.
Les petites réunions publiques de Marine Le Pen n’en ont pas moins généré une large couverture médiatique. Un ratio rentable, en somme. Pour sa troisième présidentielle, la candidate adopte la même stratégie pendant que son concurrent direct à l’extrême droite, Éric Zemmour, a, lui, déjà réalisé plusieurs grands meetings afin d’installer sa candidature et se lancer dans la course, à grands renforts d’images spectaculaires. Le meeting de Villepinte du 5 décembre 2021, où des militants de SOS Racisme ont été roués de coups par certains de ses partisans, a coûté 550 000 euros, selon son équipe de campagne. Qui assure que le budget total pour la trentaine de meetings prévus d’ici au premier tour ne dépassera pas les 2 millions d’euros. Les rassemblements de grande envergure organisés par Éric Zemmour visent aussi à crédibiliser sa candidature en étalant ses soutiens, y compris issus de la société civile, comme Jacline Mouraud, ex-figure des gilets jaunes, le philosophe Michel Onfray ou le journaliste Éric Naulleau.
C’est la fonction première des meetings : organiser une démonstration de force, qui sera retransmise en direct sur les chaînes d’information continue, branchées sur les images tournées par les staffs de campagne. Et mettre en scène l’union de tous derrière un candidat ou une candidate. Longtemps, Valérie Pécresse a espéré que Nicolas Sarkozy serait assis au premier rang du Zénith de Paris, le 13 février, avant que l’intéressé n’annonce qu’il figurerait aux abonnés absents. Les enjeux de ces grands moments de rassemblement sont souvent dramatisés à l’extrême. Rarement, pourtant, les meetings se révèlent décisifs. « Il y a généralement une croyance très installée au sein des équipes de campagne qui consiste à penser qu’un meeting peut peser fortement sur l’opinion. C’est faux. Un meeting rassemble des convaincus, des sympathisants ou des curieux, mais ne dit pas grand-chose de l’électorat. Ce ne sont pas du tout les mêmes jauges. Un meeting est une somme de signaux faibles, mais ne renverse pas la vapeur », explique la chercheuse au CNRS Claire Sécail, autrice d’un livre sur les meetings de la campagne de 2017. On se souvient de celui de Benoît Hamon à Bercy, le 19 mars 2017, considéré comme réussi, sur le fond comme sur la forme, par les observateurs. Une semaine plus tard, le candidat socialiste, parti tard dans la bataille, s’effondrait dans les sondages pour finir à 6,35 % au soir du premier tour, le pire score de son parti à une élection présidentielle (lire l’épisode 10 des Communicants).
Les meetings cristallisent les tensions et les défections de figures de premier plan.
En revanche, les meetings jouent un rôle important pour renvoyer l’image d’une famille politique rassemblée. « Cette année, l’enjeu est décuplé, note encore Claire Sécail. Plusieurs élections se jouent en une seule, à l’intérieur de chaque camp. Les militants s’attaquent entre eux, certains soutiens basculent chez le concurrent direct. Les meetings cristallisent les tensions et les défections de figures de premier plan. » On attend donc de voir comment Emmanuel Macron, une fois sa candidature annoncée, mettra en scène les ralliements de personnalités issus des rangs des Républicains, tel le député et ancien ministre Éric Woerth, ou ceux en provenance de la gauche, à l’image de l’ancien porte-parole de la campagne de François Hollande, Eduardo Rihan Cypel.
Pendant la présidentielle de 2017, l’actuel chef de l’État avait investi 5,8 millions d’euros dans ses meetings, un peu moins que les 6,1 millions dépensés par le candidat socialiste, Benoît Hamon. Loin d’être un tribun emportant les foules, Emmanuel Macron avait dû recourir aux services d’un coach vocal pour apprendre à poser sa voix, après l’avoir entendue (fortement) dérailler à la porte de Versailles, le 10 décembre 2016, dans un fameux passage de son discours déclamé en criant « C’est notre projeeeeeet ! »