Emmanuel Macron ne « panique » pas, il n’a pas perdu « le contrôle de l’épidémie » de Covid-19. Mais, comme il faut bien « en reprendre pleinement le contrôle », le président de la République a décidé en catastrophe ce mercredi de rétablir l’état d’urgence sanitaire dès samedi et de l’inaugurer par une nouvelle mesure de privation de liberté : un couvre-feu de 21 heures à 6 heures jusqu’au 1er décembre, au moins, en Île-de-France et dans huit métropoles (Lille, Grenoble, Lyon, Aix-Marseille, Montpellier, Rouen, Toulouse et Saint-Étienne). Lors de son intervention télévisée mercredi soir, le chef de l’État a justifié ces décisions en faisant appel au « bon sens » des Français et s’est défendu de les « infantiliser ». Mais, a-t-il expliqué, la principale cause de l’arrivée de cette « deuxième vague »
Cette petite musique, « c’est la faute aux Français qui s’amusent », on l’entendait monter depuis plusieurs jours de la part du gouvernement. Lundi sur France Info, le Premier ministre Jean Castex expliquait que le problème, c’était qu’après le déconfinement (dont il était en charge avant Matignon, rappelons-le) étaient « arrivées les vacances » et alors, « les Français » avaient « collectivement considéré que ce virus avait disparu » et « était derrière nous ». Du coup, on va le payer. Emmanuel Macron ne s’en est
Pas besoin de revenir dans le détail sur tous les mensonges du gouvernement du printemps, vous les avez en mémoire. Les masques qui ne servent à rien pour cacher la pénurie due à une mauvaise préparation du risque épidémique (lire les épisodes 22 et 23 de la saison 2), les soignants qui se contamineraient ailleurs qu’à l’hôpital pour ne pas reconnaître qu’il manque des blouses… Mais si on revient sur ce qui s’est dit dans la période post-confinement, il y a aussi de quoi s’interroger. À plusieurs reprises, l’exécutif a fait comme s’il était capable de maîtriser le virus, donnant un sentiment de confiance à la population. Le 15 juin, on a ainsi entendu le ministre de la Santé Olivier Véran déclarer que « le gros de l’épidémie » était « derrière nous » et que, si « le virus » n’était pas mort et circulait encore, « nous en contrôl[i]ons la circulation jour après jour, semaine après semaine ».
De la même façon, Emmanuel Macron qui, pendant le confinement, avait fini par reconnaître quelques « failles et insuffisances » de la part de son gouvernement, est vite revenu à une communication de matamore. Lors de son allocution du 14 juin, il s’était livré à un exercice d’autosatisfaction très gênant. « Nous n’avons pas à rougir de notre bilan, déclarait alors le président de la République. Des dizaines de milliers de vies ont été sauvées par nos choix, par nos actions. » Et les 30 000 morts, ils n’avaient qu’à s’en prendre à eux-mêmes ? Enfin, le 14 juillet, Macron avait assuré qu’en cas de deuxième vague, « nous serons prêts », car nous avions « appris » de la première. La réalité a depuis démenti ces proclamations un peu trop optimistes. Le gouvernement n’a pas réussi à contrôler l’épidémie de Covid-19. Et le bilan est particulièrement peu reluisant quand on compare la France à ses voisins européens : 201 000 nouveaux cas ont été observés sur les quatorze derniers jours, contre 48 000 en Italie et 42 000 en Allemagne.
Dès le 16 mars, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, lançait aux pays atteints par l’épidémie : « Testez, testez, testez. » (lire l’épisode 34 de la saison 1) Que l’une des clés de la lutte contre l’épidémie soit le dépistage n’est donc pas une nouveauté. Savoir qu’on est positif permet de s’isoler, et donc d’éviter de contaminer d’autres personnes. Sauf que la France n’a toujours pas réussi à mettre en place une politique cohérente. On n’est plus aujourd’hui dans la situation du confinement, quand quelques milliers de tests seulement pouvaient être effectués et étaient réservés à certaines catégories de populations (soignants et personnes âgées, notamment). Mais le gouvernement est toujours contraint par des capacités de production pas à la hauteur de l’enjeu et doit sans cesse revoir sa politique, donnant des consignes contradictoires sur qui peut se faire dépister.
Ainsi, le 6 mai, dans une instruction (à consulter ici, en pdf) du ministère de la Santé, on pouvait lire qu’étaient considérées comme prioritaires les « personnes présentant des symptômes Covid-19 » et « toute personne identifiée comme ayant été en contact à risque élevé de transmission avec une personne testée positivement ». Mais le 25 juillet, un arrêté a été pris autorisant n’importe qui à faire une analyse en laboratoire (sans avoir d’ordonnance et en étant remboursé par la Sécurité sociale). L’objectif étant, comme l’expliquait alors Emmanuel Macron, d’« encourager » le maximum de Français à recourir au dépistage. Résultat ? De 50 000 analyses réalisées par jour fin juin, on est passés à 100 000 le 13 août, puis à 225 000 le 14 septembre. Mais cette hausse importante a créé un engorgement tel que les laboratoires ont augmenté leurs délais pour rendre un résultat (3,5 jours en moyenne). « Les difficultés qu’on a eues, c’est qu’il y a eu beaucoup de demandes, beaucoup plus qu’on ne pensait », a ainsi reconnu le chef de l’État mercredi soir. Mais, du coup, les personnes positives l’apprenaient une fois qu’elles n’étaient plus contagieuses, rendant toute la stratégie de dépistage inefficace.
Mi-septembre, le gouvernement a donc été contraint de revoir de nouveau sa politique : Olivier Véran a demandé qu’on accueille d’abord les publics prioritaires. Les laboratoires se sont donc adaptés… en dépistant moins. Depuis le pic de 225 000 tests du 14 septembre, on est ainsi retombés à une moyenne quotidienne de 170 000 tests. Emmanuel Macron dit maintenant beaucoup compter sur les tests antigéniques. « Il va y avoir un vrai changement avec », a-t-il assuré mercredi soir. Mais, on l’a déjà expliqué (lire l’épisode 26 de la saison 2, « Tests : la politique du pif »), ces derniers, qui sont censés donner un résultat plus rapide que les tests RT-PCR, ne vont pas tout résoudre. Cette stratégie est en tous cas critiquée par l’épidémiologiste Catherine Hill. « Les études montrent qu’il y a beaucoup de porteurs asymptomatiques, plus de 50 % en moyenne. Il faut rechercher le virus par test RT-PCR en testant très largement », explique-t-elle aux Jours. Selon l’épidémiologiste, il faut s’inspirer de ce qu’a fait à Pékin en juin dernier. Afin de parer à une résurgence de l’épidémie, 2,3 millions de personnes ont été testées en moins de dix jours par les autorités chinoises, permettant de trouver et d’isoler 227 cas positifs. Si on adaptait ce cas à la France, cela voudrait dire être capable de dépister 8 ou 9 millions de personnes par semaine. On en est loin.
La conséquence de ces faiblesses du dépistage à la française, c’est qu’on sait peu de choses sur la transmission du virus. Selon le dernier bulletin épidémiologique de Santé publique France, au 8 octobre, 25 % des nouveaux cas avaient été identifiés comme « personne-contact à risque d’un autre cas ». Cela veut dire que dans 75 % des cas, on ne sait pas comment les personnes positives ont attrapé le Covid-19. D’où l’impossibilité de définir une stratégie efficace. Ainsi, en zone d’alerte maximale, le gouvernement a décrété que les bars étaient l’ennemi à combattre (mais pas les restaurants). Pourtant, comme on l’a vu, le nombre de clusters identifiés dans les cafés est très faible (lire l’épisode 29 de la saison 2, « C’est un coronavirus qui rentre dans un bar… »).
Cette critique est aussi faite par une mission indépendante sur la gestion de la crise sanitaire par les autorités françaises, qui a présenté mardi son rapport d’étape. Effectué sous la direction du médecin suisse Didier Pittet, ce travail explique notamment que la France manque d’analyses fines de clusters et qu’il aurait fallu plus d’enquêtes de terrain, pour comprendre comment se passent les chaînes de transmission. Mais pour pousser les investigations, il faudrait des équipes en grand nombre. Combien exactement ? En avril, Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, recommandait de mettre en place au niveau national une brigade de 30 000 personnes, en se fondant sur l’expérience de la Corée du Sud. « En Corée [pays de 52 millions d’habitants, ndlr], ils avaient une brigade de 20 000 personnes pour traquer avec l’outil numérique en partie, regarder le statut de la personne. C’est de l’humain qu’il y a derrière », déclarait-il devant les sénateurs. Or, on tourne aujourd’hui avec des effectifs beaucoup moins importants. Aucun chiffre global n’est communiqué par les pouvoirs publics, mais quand on regarde la situation département par département, on peut en conclure qu’on dépasse à peine les quelques milliers de personnes. Ainsi, à Paris, qui compte 2,1 millions d’habitants, la plateforme gérée par la Caisse primaire d’Assurance maladie fonctionnait fin août avec seulement 100 conseillers. À la même date, 80 à 90 personnes effectuaient ce travail pour toute la région Bourgogne-Franche-Comté (2,8 millions d’habitants). Depuis, ça embauche à tout-va. Le 11 septembre, le Premier ministre Jean Castex a promis de recruter 2 000 personnes supplémentaires au niveau national. Mais on est encore loin des 30 000 espérées par le président du Conseil scientifique.
Au début de la crise, le gouvernement s’est acharné pendant des semaines à nier que les masques pouvaient avoir la moindre utilité auprès de la population pour juguler l’épidémie. Puis, sous pression, il a opéré un retournement à 180 degrés et a rendu son port obligatoire un peu partout. Mais en faisant du masque l’alpha et l’oméga de la politique de prévention, il semble bien qu’on soit passé d’un excès à l’autre. À lui seul, le masque n’empêche pas toutes les transmissions. Parce qu’il est mal porté, parce qu’on l’enlève
Alors, est-ce la faute des Français qui n’écouteraient pas les préconisations des autorités sanitaires ? Ou des pouvoirs publics qui ne disent plus assez qu’il faut se laver les mains ? Un peu des deux sans doute. Mais une autre explication doit être prise en compte : le retour au bureau de beaucoup de salariés. Obligées de mettre en place le télétravail pendant le confinement, la plupart des entreprises ont depuis demandé à leurs employés de revenir en « présentiel ». En mars, jusqu’à 25 % des salariés travaillaient chez eux, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), rattachée au ministère du Travail. Cette proportion n’était plus que de 10 % à la fin août. Le gouvernement a beau préconiser le travail à la maison, comme il n’a fixé aucune contrainte aux entreprises, ses appels restent lettre morte. Fin août, Jean Castex avait estimé que l’un des « faits positifs et structurels de cette crise », c’était qu’on allait « se mettre à regarder différemment le télétravail » et qu’il avait demandé aux partenaires sociaux de « faire des propositions entreprise par entreprise » afin que cela devienne « un fait de société ». Ce n’est pas gagné, surtout que même le Président n’a pas l’air d’accord avec son Premier ministre. « Travailler, c’est collectif. Avec le télétravail, on risque d’isoler les gens », a ainsi déclaré Emmanuel Macron mercredi soir.
Et qui dit retour au travail, dit aussi obligation de prendre des transports en commun bondés. Là aussi, les promesses faites à la fin du confinement ont été oubliées. Souvenez-vous des règles mises en place en mai. La SNCF ne devait remplir qu’à moitié ses trains, et des pictogrammes avaient été installés dans le métro parisien pour condamner un siège sur deux. Finalement, tout est revenu progressivement à la normale. Dès juin, Élisabeth Borne, l’alors ministre de la Transition écologique, avait assoupli la règle des trains à moitié vides, parce que « près de 95 % de ceux qui empruntent les transports en commun ont un masque ». Puis, fin août, la RATP a discrètement abandonné la règle du « un siège sur deux » car, selon BFM Paris, qui avait alors révélé l’information, la mesure de distanciation physique était « peu respectée » et « difficile » à faire appliquer « à certaines heures ». De son côté, la SNCF privilégie maintenant sans complexe la logique commerciale par rapport à la santé de ses voyageurs : elle vient d’annoncer qu’elle allait supprimer des trains pendant la semaine parce que, du fait de la forte diminution des trajets professionnels, ces derniers roulent « à moitié vides ». Et de se justifier ainsi : « Il n’est pas économiquement ni écologiquement responsable de faire circuler des TGV trop peu remplis. » Mais sanitairement, oui !
S’il y a un endroit où l’on minore les règles de distanciation physique, c’est bien l’école. Après avoir, lors du déconfinement, imposé un protocole sanitaire draconien (lire l’épisode 9 de la saison 2) interdisant notamment aux enfants de maternelle de se toucher, le ministère de l’Éducation nationale a revu ses exigences nettement à la baisse. En mai, il était obligatoire de respecter une distance d’un mètre entre les tables de classe ; cette distance n’est maintenant plus que préconisée. Du coup, les élèves peuvent s’entasser dans des salles de classe et dans les cantines. Et ce nouveau protocole sanitaire très lâche a même été allégé récemment pour les écoles maternelles et primaires. Jusqu’au 22 septembre, il était prévu que la présence d’un enfant positif au Covid entraîne la fermeture de sa classe (car ses camarades étaient considérés comme cas-contacts). Depuis, il faut trois enfants positifs au même moment pour prendre une telle mesure. Autant dire que cela permet d’afficher de meilleurs statistiques ! Au 8 octobre, 199 classes et 24 établissements scolaires étaient fermés (21 écoles, un collège et deux lycées), selon l’Éducation nationale.
Assez étrangement, tout se passe comme si, pour le gouvernement, l’école n’avait rien à voir avec l’augmentation actuelle des cas de Covid-19. Santé publique France indique que les clusters augmentent très fortement en milieu scolaire et universitaire ? Jean-Michel Blanquer répond que « l’école n’est pas un nid à virus » et que les contaminations se passent ailleurs. Le protocole sanitaire prévoit qu’en cas de « circulation active du virus sur tout ou partie du territoire national », un dédoublement des classes soit mis en place, avec retour à un enseignement en distanciel ? Le ministre de l’Éducation assure que « les choses sont maîtrisées dans le domaine scolaire » et qu’« il faudrait des contaminations encore plus importantes » pour prendre une telle décision. En mars, cette politique de l’autruche n’avait pas fonctionné. Emmanuel Macron n’avait pas pris en compte l’avis de son ministre pour décider de fermer toutes les écoles.
Cette fois-ci, les vœux de Jean-Michel Blanquer ont été respectés. Pendant son intervention, mercredi soir, le chef de l’État n’a pas une seule fois évoqué des potentielles mesures d’aménagement dans les établissements scolaires. Mieux même, il s’est « félicité » d’avoir été « les premiers à rouvrir les écoles » en mai et a assuré qu’on avait « réussi la rentrée scolaire ». À ce niveau de décalage avec la réalité, on peut se dire que ce n’est pas gagné pour faire diminuer l’épidémie. Et puisque le terme « couvre-feu » sent bon sa Seconde Guerre mondiale, on espère qu’on va pas finir par repartir comme en quarante et se taper un nouveau confinement.