Et vous, votre dimanche ? Vous reste-t-il un ongle à ronger ? Combien de temps avez-vous passé dans l’isoloir en hésitant entre deux, trois, quatre bulletins ? Peut-être l’avez-vous choisi blanc, comme plus de 500 000 personnes en ce premier tour de l’élection présidentielle de 2022, pour signifier qu’aucun des douze candidats n’aura réussi à vous emporter. Ou bien avez-vous décidé de simplement boycotter les urnes, tels 25 % du corps électoral ? Incertains hésitants, abstentionnistes convaincus, fieffés macronistes, néomélenchonistes, socialistes des neiges d’antan ou écologistes de la dernière averse, Les Jours vous ont accompagnés pour cette soirée électorale qui s’est soldée par la nette victoire d’Emmanuel Macron sur Marine Le Pen, talonnée par Jean-Luc Mélenchon.
Toute la rédaction était sur le pont pour un épisode alimenté en direct par nos journalistes installés dans les lieux où les candidats ont réuni leurs partisans le temps d’une soirée de premier tour. À 20 heures, c’en était terminé d’une campagne qui n’en a jamais été une, esquivée par un Emmanuel Macron, président de la République qui a fait lambiner l’électorat jusqu’au bout, commencée dans les cris et la fureur d’Éric Zemmour, effacée par la guerre de Poutine en Ukraine, masquée par le Covid, enfumée par une Marine Le Pen qui n’a cessé de ronronner pour faire oublier son pedigree d’extrême droite. À 20 heures, Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont dessinés sur nos écrans ; dans deux semaines, il n’en restera qu’un
Motomanie
Non, ce ne sont pas les « Brav-M »
Alerte punk chez Pécresse
En direct de la Maison de la chimie, la meute de journalistes est en place : la candidate des Républicains (LR) Valérie Pécresse devrait bientôt arriver. L’attention générale se détourne quelques instants quand passe dans la rue un motard avec une crête de punk en crin rouge intégrée à son casque. Une journaliste s’esclaffe : « Why not ?! » Puis les regards se posent sur une dame en veste de tailleur gris assortie à ses cheveux. Un pin’s de la cocarde tricolore accrochée au cœur, elle envoie des baisers à Damien Abad, le président des députés Républicains, qui se présente à l’entrée du bâtiment, puis s’exclame : « Fidèles ! On reste fidèles ! » Jeanne Casez
« Les Jours » refoulés de chez Le Pen
Du côté de Marine Le Pen, c’est l’ambiance « rallye ». Pas un rallye de Formule 1, non, mais des rallyes qui font danser la jeunesse des quartiers huppés. La candidate du Rassemblement national (RN) réunit ses militants au très chic pavillon Chesnaie du Roy, situé dans le Parc floral de Vincennes, à l’est de Paris. Et à l’entrée, ce n’est pas le populo qui se présente, mais de jeunes hommes en costard et des femmes portant des robes de soirée. À l’intérieur les attendent du champagne avec étiquette « Marine Présidente » pour fêter la probable qualification au second tour de leur championne. Cette information, c’est une collègue qui nous l’a confiée, car cette fête, Les Jours ne pourront pas y participer. Nous avons été refoulés, comme un vulgaire pique-assiette. Comme en 2017, la demande d’accréditation des Jours n’a pas été acceptée et la responsable du service de presse n’a rien voulu savoir : « C’est full, c’est full. Si vous n’êtes pas sur la liste, vous ne rentrez pas ! » Si elle a tenté d’adoucir son image, Marine Le Pen est toujours la même. Nous voilà donc condamnés à attendre devant l’entrée en compagnie des gendarmes mobiles qui patrouillent avec leur fusil mitrailleur. Craindrait-on une manifestation des écureuils du bois de Vincennes ? Nicolas Cori
Les zétats d’âme (Éric)
« Il fait beau les Zamis, se réjouit une zemmouriste sur un fil Telegram interne du parti Reconquête. Les gauchistes irresponsables préfèrent aller au soleil que d’aller au bureau de vote. Bonne nouvelle. » Il est midi ce dimanche, le soleil brille dans le ciel et aussi dans le cœur des partisans d’Éric Zemmour. C’est jour de vote et chaque élément est un signe. L’abstention ? « Je n’y crois pas vraiment, il y avait plein de gens dans mon bureau de vote », affirme un militant, photo de file d’attente à l’appui. « C’est le vote caché », espère un autre, du nom de la grosse fadaise qu’essaie de faire avaler Zemmour depuis des semaines pour camoufler sa dégringolade sondagière. Un troisième livre une analyse à faire pâlir d’envie un éditorialiste de CNews : « Je remarque que nos affiches sont moins dégradées récemment, on touche du bois ! » En parlant de bois, aujourd’hui, c’est aussi le dimanche des Rameaux. « Il célèbre l’entrée de Jésus à Jérusalem. Il est sur un âne. La foule l’acclame, précise une militante à qui on n’ose demander si la foule acclame l’âne, comme en Zemmourie. Pour la chrétienne que je suis, c’est un signe. » Et en plus ce sont des rameaux d’olivier qu’on utilise parfois pour célébrer la journée. On vous le donne en mille, en berbère, Zemmour veut dire… « olivier » ! Sur Twitter, sous le hashtag #RadioLondres, l’artifice permettant de contourner
Les Insoumis au Cirque
Jean-Luc Mélenchon a choisi le Cirque d’hiver, dans le XIe arrondissement de Paris, pour tenir sa soirée. Et si les élus et l’équipe de campagne auront droit aux décors rouge et or du lieu, les militants devront se contenter de la place extérieure, avec retransmission sur écran géant. En cette fin d’après-midi, il y a peu de monde, mis à part une poignée de jeunes qui se dandinent au son de la sono qui crache du mambo, bière à la main. « J’ai appris qu’il y avait un rassemblement ici, je n’habite pas loin et il fait beau », résume Eddy. À l’intérieur, l’ambiance est plus feutrée, tandis que l’on installe les derniers modules de la salle qui accueille les journalistes et les militants de La France insoumise (LFI). Un technicien secoue le pupitre violet de la scène afin de s’assurer qu’il résistera à l’enthousiasme
« On est pas dans la grande salle ?
Non, seule la petite salle à votre gauche est mise à disposition.
C’est tout ? »
Alors pour patienter un peu, les vieux fauves de LFI entonnent à intervalles réguliers un « On est là » qui se veut ferme et optimiste. Pauline Paillassa
Chez Zemmour, fausse fourrure et fleur de lys
Julien a 27 ans et une grosse fleur de lys tatouée dans le cou, parfaitement visible au-dessus de son look Fred Perry. Devant la Maison de la Mutualité, où Éric Zemmour a rassemblé ses sympathisants pour cette soirée électorale, il dit la même chose que tout le monde : ce candidat, il l’apprécie « parce que ce n’est pas un politique. C’est un journaliste qui a vu toutes les failles du monde politique et a su en tirer un programme. Il porte la France au cœur ». Dans son manteau en fausse fourrure léopard, Chantal, 57 ans, sort la même histoire serinée par la campagne du candidat : « Ça fait longtemps que l’on n’a pas eu un candidat qui parle de la France. Je crois qu’il a appris à l’aimer pendant cette campagne. » Chantal se définit comme « une fille de communiste espagnol marquée par le monde ouvrier » puis « une électrice du centre qui votait Bayrou ». Elle a voté Zemmour aujourd’hui, comme son mari Gilles qui, lui, voit carrément dans le candidat d’extrême droite « le sauveur de la France ». Il dit ça le regard fièrement posé sur l’horizon… Enfin, sur la brasserie du coin où l’happy hour propose la pinte à 8 euros. Sophian Fanen
Same players shoot again
L’affiche sera donc la même qu’il y a cinq ans : Emmanuel Macron remporte le premier tour de la présidentielle face à Marine Le Pen. Un Emmanuel Macron très haut, beaucoup plus que dans les derniers sondages, on vous avait bien dit qu’il fallait les prendre avec des pincettes… Et Emmanuel Macron fait un score plus large qu’en 2017 : 29,1 % contre 23,3 %, selon Ipsos sur France 2, 28,6 %, contre 24,4 %, selon l’Ifop pour TF1. Il y a cinq ans, Emmanuel Macron gagnait le premier tour avec 24,01 % des voix contre 21,3 % pour la leader de l’extrême droite. Derrière, Jean-Luc Mélenchon rafle, cette fois sans contestation possible, la troisième place avec un peu plus de 20 % des voix. Pour trouver les candidats suivants, il faut plonger dans les tréfonds du classement : Éric Zemmour est quatrième (entre 6,8 % et 7,2 %) loin, très loin de ses ambitions, grand-remplacé par Marine Le Pen. Plus loin encore arrivent Valérie Pécresse, à la limite des 5 %, le seuil pour le remboursement de sa campagne, et Yannick Jadot, Vert plus qu’à moitié vide. Anne Hidalgo est dans les choux, à 2,1 %, derrière Jean Lasalle. Si elle est arrivée en tête, c’est dans la course à qui parle en prems : elle s’est exprimée dès 20 h 03, pour apporter ses maigres voix à Emmanuel Macron. Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts
zzzzZZZZZZzzzz…
Un énorme silence a assombri la salle de la Mutualité, à Paris, où sont réunis les partisans d’Éric Zemmour, quand les résultats sont apparus sur les écrans. Puis quelques cris ont fusé quand est apparue la figure de Marine Le Pen, qui affrontera Emmanuel Macron au second tour. Mais la Mutualité a surtout hurlé en entendant le nom de Jean-Luc Mélenchon, qui écrase largement le candidat de Reconquête et arrive en troisième position, là où ils rêvaient d’être. Une fois cette déception retombée, la suite est claire dans les discussions ici : les électeurs d’Éric Zemmour voteront Le Pen dans deux semaines, sans hésiter.
Puis des grappes de garçons habillés comme dans la série Peaky Blinders
« Et un, et deux, et cinq ans de plus ! »
Les militants La République en marche (LREM) ont fini par arriver dans l’ambiance froide du hall 6 du parc des expositions de la Porte de Versailles, à Paris, où se tient la soirée de la majorité présidentielle. Au coude à coude avec les journalistes côté effectifs. Pas d’euphorie, ni de têtes macronistes connues : les ministres ou ex-ministres, réunis dans une salle à part, les ont salués depuis une passerelle surplombant l’entrée : le député et ex-ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, juste après le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Les militants se disent « confiants ». Et « stressés » aussi, « on ne sait pas à quoi s’attendre », lâche Adrien, 28 ans. Mais vers 19 h 45, sourires sur les visages au-dessus des écrans de téléphone. Et un petit attroupement fend la foule : le sénateur François Patriat demande « où sont les caméras ». Les députées Laëtitia Avia et Olivia Grégoire, puis la ministre déléguée au Logement, Emmanuelle Wargon, cherchent aussi où se mettre. Cris de joie à l’annonce du score de leur candidat
Nos jeunes autour d’un Vert à moitié vide
La Bellevilloise, XXe arrondissement de Paris. Nous avons réuni deux des personnages de notre série 20 ans, fermes : Makeda, rebelle d’Extinction Rebellion, 21 ans, et Lakhdar, sympathisant de Jean-Luc Mélenchon, 23 ans. C’est là, dans le lieu choisi par Yannick Jadot, candidat d’Europe Écologie - Les Verts (EELV), qu’ils vont vivre la soirée du premier tour. Dans la salle de restaurant, face aux militants et à la presse, le perdant appelle ses électeurs à faire barrage à l’extrême droite. « Notre vote ne vaut pas caution de la fracture sociale du pays », nuance-t-il en s’adressant directement à Emmanuel Macron. « C’est une déception. C’est à cause de lui que Mélenchon n’a pas gagné », lâche Lakhdar à haute voix, avant de se faire fusiller du regard par deux militants écolos. « On ne peut pas laisser l’extrême droite gouverner ce pays », martèle Yannick Jadot, une fois les caméras éteintes. « Avoir Macron une nouvelle fois, ça me fait peur. Avec cinq ans de plus, il va encore droitiser sa politique, s’inquiète Makeda. On a besoin d’une gauche forte aux législatives pour faire opposition. » Alexandre Bourasseau
La déZeption
« Je ne peux pas y croire, cette élection a été truquée », s’exclame une militante zemmouriste sur Telegram. Ben voyons. On l’attendait, la petite musique trumpiste du « steal the vote ». Eh bien non : dans les cercles militants d’Éric Zemmour, giflé à 7 %, ce petit air rance se fait vite grand-remplacer par un autre : « Les Français sont des cons, résume sobrement un partisan. Quand je vois ça, je pense qu’on a ce qu’on mérite. » Il est désormais 20 h 10 et les Français ont violemment déçu des zemmouristes baignés d’amertume. « Les gens sont suicidaires », soupire-t-on sur les groupes où l’on tance ce « peuple abrutisé par les médias, par la propagande de tout un peuple jusque dedans nos écoles » et « ces Français masos ». « Pourquoi se battre pour des gens qui en redemandent ? Honnêtement, c’est comme l’assistance à personne en danger, vaut mieux tourner la tête que de vouloir aider son prochain », tranche, dépité, un « Zami », ainsi qu’on s’appelle ici. « Sont très cons les gens, qu’ils ne viennent pas se plaindre, je les enverrai chier. » Qu’on se le dise ! Pierre Bafoil
L’espoir douché chez Mélenchon
Chez Mélenchon, c’est la douche froide pour les sympathisants rassemblés devant le Cirque d’hiver, à Paris. La foule se calme et l’excitation retombe net. Quand le présentateur de France 2, dont le direct est projeté sur écran géant, se demande ce que feront les électeurs de Jean-Luc Mélenchon pour le second tour, quelqu’un crie : « Rien ! Rien du tout ! » Nicolas, sympathisant de La France insoumise, affiche, lui, une moue déconfite. « On s’y attendait, mais c’était un sacré espoir quand même. On a tout de même fait un bon score, au-delà de ce que les sondages prédisaient. Mais pour ce deuxième tour, on va avoir l’impression d’avoir le pistolet sur la tempe pour la deuxième fois. C’est rageant s’il faut encore valider quelqu’un que maintenant on connaît et dont on sait ce qu’il a fait pendant ces cinq années. » Dans les couloirs du Cirque d’hiver, les élus ne cachent pas non plus leur déception. Ça renifle à droite et à gauche, même si on tente de garder le sourire. Dans la salle, quelques personnes entonnent encore un « On est là », mais sans beaucoup d’enthousiasme. Pauline Paillassa
18 ans et déjà d’antan
Raphaëlle a 18 ans aujourd’hui et, pour son anniversaire, Valérie Pécresse ne lui a offert que cinq petits pour cent. La militante chez les Jeunes Républicains avait pourtant placé beaucoup d’espoir en la candidate, ainsi que son premier bulletin de vote. Alors, dans leurs vestes de costume bleu foncé, elle et ses camarades militants, tous lycéens, affichent des yeux rouges et une mine déconfite à l’annonce des résultats. Pour autant, Raphaëlle ne pense pas que ce score historiquement bas signe la fin de son parti. « On reste forts, soudés et très implantés », se rassure-t-elle. La lycéenne regrette surtout « l’acharnement médiatique contre Valérie Pécresse » après son meeting raté au Zénith de Paris, à partir duquel elle a commencé à dégringoler dans les sondages. Selon elle, « ça a eu un énorme impact car les jeunes d’aujourd’hui ne votent qu’en fonction des réseaux sociaux et de la forme que prennent les discours ». Raphaëlle est interrompue par l’arrivée de Valérie Pécresse. Dans une brève prise de parole, la perdante indique qu’elle votera « en conscience pour Emmanuel Macron » et demande à son assemblée de « peser avec gravité les conséquences de tout choix qui ne serait pas le [sien] ». Mais pour Raphaëlle, c’est LR ou rien. Au second tour, la jeune femme songe à voter blanc. Alors qu’elle prépare le concours de Sciences-Po Paris, elle se présentera également aux législatives en Moselle. Raphaëlle a 18 ans à peine mais elle semble déjà d’un autre temps. Jeanne Casez
Le gros râteau de Marine Le Pen
Marine Le Pen sort son râteau et ratisse large : « Toutes les personnes qui n’ont pas voté Emmanuel Macron ont vocation à rejoindre ce rassemblement. » Et vas-y que je te cligne de l’œil à gauche : « Le 24 avril, ce sera un choix fondamental entre deux visions opposées du pays : soit la division et le désordre, soit le rassemblement des Français autour de la justice sociale garantie par un cadre fraternel »
Tortue déter
Vers 20 h 45, la tortue sagace finit par prendre la parole. Contrairement à 2017, pas question cette fois-ci de contester le décompte des voix. Le leader de l’Union populaire, 70 ans, appelle à continuer la lutte : « Maintenant, c’est à vous de faire », lance le chef des Insoumis, tentant de faire bonne figure face à une salle visiblement émue. « Nous savons pour qui nous ne voterons jamais », annonce-t-il, s’adressant aux militants dont il sait « la colère » : « Qu’elle ne vous fasse pas commettre des erreurs qui seraient irréparables. » Même si ses mots semblent mettre du baume au cœur aux partisans, les cernes se dessinent sur les visages. Comme lors de la précédente présidentielle, aucune consigne de vote explicite n’est donnée. « Ils sont capables de savoir ce qu’ils doivent faire ! », tonitrue Jean-Luc Mélenchon. Côté sympathisants massés dehors, la foule se clairsème. « On est tristes, on est déçus mais il y a une forme de sourire. On a loupé le coche mais on a fédéré la base », commente Fayçal, dans un sourire teinté de regrets. Juste avant de quitter la tribune, Mélenchon a lâché : « Faites mieux ! » Pauline Paillassa
Les refoulés de Marine Le Pen
Devant l’entrée du pavillon Chesnaie du Roy, un petit groupe de journalistes refoulés de chez Marine Le Pen s’est formé. Chouette, on se sent moins seul. Il y a là Charlie Hebdo, Blast, la BBC, le quotidien japonais Asahi Shimbun et la chaîne qatarie Al Jazeera. Et puis voilà qu’arrive l’équipe de Quotidien : elle non plus n’a pas eu son accréditation, mais s’est dit que ça ne servait à rien d’arriver à l’avance. C’est une soirée privée, on vous dit ! Même pas le droit d’entrer si on veut faire un petit pipi, nous dit la responsable des badges après avoir crié de joie à 20 heures en réaction aux résultats. Un motard de LCI attend, lui, que Marine Le Pen parte en voiture pour la suivre et faire des images de la candidate dans les rues de Paris (sans lesquelles une soirée électorale n’est jamais totalement réussie). Il regarde sa chaîne sur son portable avec le son, ce qui nous permet d’entendre un bout de la déclaration de Marine Le Pen. Mais la journaliste qui le cornaque lui crie qu’il faut se préparer pour la sortie de la candidate du Rassemblement national… et on n’a pas entendu la suite.
Alors que la température baisse (et que le rhume du journaliste jouriste menace), nous voilà donc à nous jeter sur tous les militants RN qui prennent l’air pour comprendre quelle est l’ambiance. Leur réaction ? Globalement mesurée. Ils sont contents que leur candidate soit qualifiée pour le second tour, mais ils sentent bien que ce n’est pas gagné. Patrick, 70 ans, qui habite dans le Sud de la France, récite les éléments de langage : « Elle incarne l’autorité, elle a un volet social. Son programme est sérieux, elle a travaillé. » Étienne, cadre de l’Ouest parisien, tente de se convaincre que le report des voix peut créer la surprise. « Quelles sont les réserves de voix de Macron ?, s’interroge-t-il. Elles ne sont pas très grandes. Les Insoumis ne vont pas voter pour lui. Rappelez-vous, ils ont manifesté en lui coupant la tête. » Nicolas Cori
Chez Zemmour, le ralliement à Le Pen
« Je ne me tromperai pas d’adversaire. » Sans hésiter, Éric Zemmour a appelé ses électeurs à voter pour Marine Le Pen au second tour. La salle de la Mutualité, où il a réuni ses partisans, a acquiescé sereinement. C’était une évidence. Louis, par exemple, qui ne s’appelle pas Louis mais a donné ce prénom « qui va bien avec la France de droite [qu’il] aime », votera Le Pen « sans hésiter ». Il est même « catastrophé de voir Valérie Pécresse vouloir prolonger le quinquennat de Macron » en appelant à voter pour le candidat LREM. Louis fait partie des nombreux déçus de la droite qui sont passés chez Zemmour cette année et il est « satisfait que Zemmour ait réussi à tuer les Républicains. Maintenant, la droite est rassemblée » à ses extrêmes, se satisfait-il avant de quitter la salle. Nolwenn, qui a été la responsable des Femmes avec Zemmour en Île-de-France, hésite quant à elle à voter Rassemblement national. « On refait 2017 et on sait comment ça va se passer. » Elle veut « relire le programme de Marine Le Pen » avant de se décider. Surtout, elle veut savoir quelle sera la stratégie de Reconquête pour les législatives de juin prochain : « La stratégie, pour moi, ce sera d’avoir des députés, que ce soit avec et pour Marine Le Pen ou de notre côté. »
Ils et elles ont été des militants du quotidien pendant des mois, mais avant tout des fans transis d’Éric Zemmour aveuglés par les meetings. Ce soir à la Mutualité, tout est redescendu d’un coup pendant le discours du candidat d’extrême droite et les larmes ont coulé dur sur les cœurs de ceux qui renverraient pourtant leur grand-mère dans son pays sans chouiner si leur candidat leur demandait. « Une jeunesse s’est levée », a d’ailleurs dit Éric Zemmour, en s’adressant spécifiquement à cet embryon de parti qu’il espère emmener avec lui « tant que la France ne sera pas reconquise ». Mais, d’ici là, Quentin, la vingtaine à peine atteinte, a « les boules d’avoir fait le score de Benoît Hamon », le candidat socialiste qui avait rassemblé à peine plus de 6 % des voix. À ses côtés, Lyna pleure et promet qu’elle « ne lâchera pas » son candidat, que « c’est lui qui devrait être à 20 %, pas Mélenchon, là. Mais on n’a pas eu les médias de notre côté ». Ce qui est drôle à entendre, quand on se rappelle qu’Éric Zemmour a rodé son programme pendant deux ans sur le CNews de Vincent Bolloré. Sophian Fanen
« Les Français sont trop cons »
Chez Zemmour, le chef aboie, la pilule passe. « C’est dur mais relevons-nous », s’ébroue un militant sonné, sur Telegram. « Oui, son discours d’après défaite me regonfle pour l’avenir, répond un jeune homme. En attendant, je suis malheureux deux fois : la défaite et les 13 points que Mélenchon nous met. Ça, ça me fait très mal. » D’autant que c’est probablement 14, mais chut, laissez-les tranquilles. La plupart pensent avant tout à la France. « C’est à nous qu’il reviendra de relever le pays ! Les Français sont trop cons, tant pis pour eux, nous, nous sommes dans la vérité ! » D’autres fantasment le chemin parcouru, « 7 % avec un parti vieux de trois mois, imaginez ce que ça va donner dans cinq ans… On passe au premier tour ! » Ou encore, hasardent des comparaisons historiques : « La reconquête espagnole a pris des siècles… On savait que ça ne serait pas simple. » Quelques-uns ont bien du mal à faire bonne figure et pensent à faire leurs bagages. Reste à savoir où. « Macron au pouvoir, nous nous préparons à quitter ce pays », prévient une sexagénaire. « Pour aller ou ? », s’enquiert un militant. « Dans un pays qui a encore sa colonne vertébrale et qui est fier de son histoire et de sa culture. » « Ok. Donc où ? », rétorque le rabat-joie. Une rigolote a sa petite idée : « Au Maghreb puisqu’ils viennent tous ici. Échange standard… » Elle se reprend dans la seconde, consciente d’être allée trop loin. « Non… Je plaisante. RÉSISTONS AVEC EZ !!!! » Pierre Bafoil
Sur TF1, les visiteurs des années 2000
Sur TF1, c’était prévu, on bascule sur Les visiteurs. Mais à l’antenne, le film a commencé plus tôt que prévu, et ça fait une bonne heure déjà qu’en zappant sur la Une on s’est retrouvés parachutés dans les années 2000, nez à nez avec Ségolène Royal (qui dit toujours « poulitique »), Luc Ferry
Flash-back dans une file du XIXe
Avenue Jean-Jaurès, dans le XIXe arrondissement de Paris, un jouriste s’installe dans la longue queue du bureau de vote juste après 18 heures. À 20 heures, il y est encore quand les résultats tombent. L’équipe du bureau de vote continue d’accueillir les votants qui sont dans la file, et où les stratégies changent : Jean-Luc Mélenchon n’a plus besoin de voix ; Yannick Jadot, si, pour dépasser les 5 % et voir ses lourds frais de campagne remboursés (jamais EELV n’avait autant dépensé). Alors dans la queue, on soutient désormais l’écologiste… Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts
Macron à l’assaut de Le Pen
Les macronistes, c’est bien connu, ne sifflent personne : ni Marine Le Pen, l’adversaire du second tour, ni Éric Zemmour, qui appelle à voter pour elle sur les deux écrans géants de chaque côté de la scène barrée du slogan « Nous tous ». Tout juste un petit murmure dans la foule des militants quand le candidat de Reconquête dit qu’Emmanuel Macron « a fait entrer deux millions d’immigrés » en France pendant son quinquennat. Juste avant, Jean-Luc Mélenchon a répété à quatre reprises : « Il ne faut pas donner une seule voix à Mme Le Pen. » Quatre fois, ils ont applaudi. Vers 21 h 35, un rideau noir s’entrouvre à gauche de la scène. Drapeaux français et européens s’agitent. Emmanuel Macron arrive devant son pupitre.
Il remercie… et fait applaudir tous les candidats du premier tour un par un, ceux d’extrême droite compris. Promet de « tendre la main à tous ceux qui veulent travailler au service de la France ». Et qu’il fera tout son possible pour « convaincre ceux qui ont voté pour les extrêmes ». L’heure est au rassemblement, il lance : « Le seul projet pour le pouvoir d’achat, c’est le nôtre ! » Et encore : « Le seul projet des travailleurs et de tous ceux qui sont au bord du chemin, c’est le nôtre ! » Puis insiste : « Rien n’est joué ! », « Rien n’est fait ! » Avant de descendre dans la foule : serrages de mains, selfies. À peine son discours fini, les journalistes reçoivent la destination du prochain déplacement du candidat, dès ce lundi 11 avril, dans les Hauts-de-France, terre d’élection de Marine Le Pen. Aurore Gorius
Le dépit antifa
Et les antifas, alors ? Dans la série Les antifas contre-attaquent, Les Jours racontent ce combat qui se renouvelle alors que l’extrême droite gagne du terrain. Voici Circé (son prénom a été modifié), 19 ans, membre du collectif Paris Queer Antifa, né l’année dernière pour allier la lutte antifasciste à celle des personnes LGBT. « Comme j’ai que des amis gauchistes, j’avais trois soirées électorales prévues ! Mais j’ai préféré regarder les résultats avec ma mère et ma sœur. » Devant la télé, elle a été « outrée que TF1 donne la parole à Marion Maréchal Le Pen et ses délires identitaires quand la France essuie un résultat aussi catastrophique ». Portugaise, l’étudiante ne pouvait pas voter mais elle a trouvé un électeur qui a accepté de le faire pour elle, grâce à la plateforme Alter-votants, qui met en relation des abstentionnistes avec des gens qui n’ont pas la nationalité française pour que le droit des uns profite aux autres. « Elle [la personne] m’a envoyé une photo dans l’isoloir, avec un bulletin pour Mélenchon dans l’enveloppe », raconte Circé. Autour d’elle, les antifas paraissent particulièrement dépités. « C’est mélodramatique. Cette année, même mes potes anars sont allés voter Mélenchon. C’était quand même la promesse d’un avenir un peu plus radieux que celui qui se présente à nous aujourd’hui… » Pour le second tour, Circé ne sait pas trop quoi penser : « Sur beaucoup de points, Le Pen et Macron ont le même programme dévastateur. La différence, c’est qu’avec Marine Le Pen au pouvoir, les violences fascistes seront sans doute plus décomplexées. » Jeanne Casez
La fête du n’imp à la télé
Vous le savez, la mèche de Laurent Delahousse est notre boussole politique. Quand le cheveu est bistre : Lolo pas content ; quand le cheveu luit : Lolo est en mode brosse à reluire. Ce soir, Lolo a le cheveu fou, sec, en pétard, à l’image d’une soirée toute pétée. France 2, seule chaîne généraliste en scène maintenant que TF1 est passé au parti de Jacquouille, se débat avec des politiques de, heu, troisième rang au moins : Éric Woerth, Manuel Valls… Et comble avec des interviews lunaires de producteurs de prunes en Tarn-et-Garonne, d’un restaurateur lyonnais qui en a gros après le télétravail et d’un maire avec plein de maquettes dans son bureau. Bon. Remettons la palme du comique involontaire à une Nathalie Saint-Cricq au bout du scotch qui lance à Éric Woerth : « Le pays est facturé. » C’est malin. Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts
Frisson Insoumis
« Cette soirée n’est pas finie », lance Lolo Delahousse, l’œil et le cheveu fous, qui nous fait soudain son coming out face à la socialiste Carole Delga : « J’entends ce que vous dites, mais moi, ce soir, je suis électeur de Jean-Luc Mélenchon… » WHAT ??!!! Sacré Lolo, il a senti le sens du vent, car il se passe ceci : plus le résultat des dépouillements arrivent, plus Mélenchon monte. Marine Le Pen est à 23 %, le candidat de La France insoumise est à 22,2 % et le résultat des grandes villes n’est pas encore tombé. Un frisson Insoumis parcourt l’échine de Lolo… Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts
Pendant ce temps-là, sur CNews…
La chaîne de Vincent Bolloré qui a fabriqué Éric Zemmour ne lâche pas l’affaire aussi facilement malgré les 7 % de son champion et Stanislas Rigault est reçu en plateau et en majesté. Mais si, vous savez, ce porte-parole de Zemmour qui a l’air d’être en CM1. Face à Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la Jeunesse, il lui fait la leçon : « Vous n’avez pas envie d’être élue pour une autre raison qu’un barrage ? » En soutien, Louis de Raguenel, chef gominé du service politique d’Europe 1 (car, dans un très émouvant ensemble, les médias de l’empire Bolloré font antenne commune), l’apostrophe : « Il y a quand même une volonté de diaboliser Marine Le Pen. » Tandis qu’en bonne maîtresse de cérémonie Sonia Mabrouk lui lance l’air mauvais : « Bonne chance pour les cinq ans à venir. » Mais comme le vent tourne aussi sur CNews, une moto colle aux fesses de la voiture de Marine Le Pen qui rentre chez elle. Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts
La Mélenchonada ?
Se réveillera-t-on avec des Fabien Roussel, Anne Hidalgo, Yannick Jadot reprenant leur appel à voter Emmanuel Macron au second tour ? Les Jours devront-ils aller piocher dans leur réservoir de titres ce « La République, c’est lui » envisagé en cas d’un second tour entre le Président-candidat et le patron de La France insoumise ? À l’heure bien trop tardive où nous écrivons ces lignes et où se dépouillent les derniers bulletins, on n’en sait rien. Mais récapitulons : sur 92 % des votes, selon le ministère de l’Intérieur, Emmanuel Macron a recueilli 8,8 millions de voix, Marine Le Pen 7,8 millions et Jean-Luc Mélenchon 6,8 millions, tous les trois loin derrière l’abstention qui remporte l’élection avec 10 millions de partisans. Mais le résultat ouvre la voie au second tour annoncé dès 20 heures entre les deux premiers. Il y a cinq ans, ça se terminait par 66,1 % pour Macron contre 33,9 % pour Le Pen et Les Jours titraient « Macron, élu produit de l’année ». Il nous reste quinze jours pour trouver un titre et il reste quinze jours aussi à 48 millions de Français pour se trouver un président de la République