La pluie a failli tout gâcher. Ceux qui n’habitaient pas trop loin ont changé de chaussettes entre la fin de la manif et le début de la « Nuit Debout » place de la République, à Paris, les autres sont venus directement, glacés mais joyeux.
La moitié de la place s’est transformée en campement festif, moins douillet qu’une ZAD, plus meublé qu’un début d’occupation façon Indignés. Un camion déplié fait office de scène de concert, un écran géant doit projeter Merci patron, le film de François Ruffin sur Bernard Arnault. Il y a même une tente infirmerie. L’économiste Frédéric Lordon, en passe d’incarner le Bourdieu du mouvement contre la loi travail.

Un peu à l’écart, une fille et deux garçons ont accroché un brassard « Nuit Debout » à leur coude. Ils font partie de la commission « accueil et sérénité » (version locale et soft du service d’ordre) et résument en quelques mots l’objet du rassemblement : On en avait marre de rentrer chez nous après les manifs. On s’est dit : profitons-en pour faire se rencontrer les gens en lutte dans différents secteurs.
Les motifs d’insatisfaction se sont catalysés entre eux. Eux sont intermittents et chômeurs, en pleine renégociation des accords Unédic. Le 23 février dernier, ils se sont retrouvés à la Bourse du travail pour une soirée de discussions qui, articulée à la sortie du film de François Ruffin et au mouvement naissant contre la loi travail, a débouché sur cette soirée. Interrompus par des fumigènes rouges posés trop près d’un préfabriqué, ils partent rappeler quelques consignes de sécurité.
Ici je sais même pas de quelles organisations sont les gens, on ne se pose pas la question.
A côté du jeu de massacre à l’effigie de grands patrons, Jean-Marie, 33 ans, veille sur ses tracts. Avec Louise, graphiste, et « Iouli » - je connais que son surnom
- il a sorti 20 mille luttes, un journal de quatre pages à prix libre copié sur la maquette du gratuit 20 minutes. L’appel de une : Quelque chose est en train de naître, nous sommes en train de naître.
Jean-Marie milite à Attac depuis quatre ans et fait partie du collectif citoyen Les Engraineurs, mais ici je sais même pas de quelles organisations sont les gens, on ne se pose pas la question
. Dans la vie, il travaille dans un laboratoire d’essai aéronautique, un milieu pas du tout militant
, et commence à parler de la loi travail avec ses collègues. Certains seraient prêts à manifester, mais ils ont peur de se faire virer.

La place vit sa vie et sa nuit tranquillement. Trois étagères passent au milieu, portées par d’ambitieux déménageurs.