Le professeur Asaf Savaş Akat porte des rouflaquettes, des bretelles et des chaussettes de couleurs vives, aime s’habiller de façon excentrique, mais il ne faut pas s’y tromper. C’est, en Turquie, un économiste réputé. Dans son bureau désuet du campus moderne de Bilgi University à Santralistanbul, il recule son fauteuil pour jauger le visiteur.
Il ne porte pas la politique actuelle de Recep Tayyip Erdogan dans son cœur mais s’agace des critiques caricaturales, de l’opposition turque qui refuse de reconnaître ce qui a changé dans le pays depuis l’arrivée de l’actuel Président. « Si vous êtes incapable de faire un diagnostic correct, vous ne pourrez jamais soigner correctement votre malade, dit-il. C’est pareil avec un pays. Si vous dites que tout dysfonctionne, même ce qui fonctionne bien, comment voulez-vous apporter des remèdes crédibles ? Demandez-vous pourquoi Erdogan est si bien réélu. »
Le Président, désormais, joue de la terreur et des sentiments nationalistes, contrôle quasiment toute la presse, fait interdire les derniers journaux libres (lire l’épisode 4, « Coupure de presse »), ce qui aide à façonner l’opinion publique d’un pays. Mais son parti a aussi radicalement transformé économiquement la Turquie. Depuis l’arrivée de l’AKP au pouvoir, en 2002, les classes moyennes turques ont émergé, découvert la consommation, le crédit. Et se sont endettées au point d’être désormais obsédées par la stabilité économique et politique.
Le pouvoir de l’époque a commis une erreur terrible sans laquelle l’AKP ne serait peut-être pas au pouvoir aujourd’hui.
Pour l’écrivain Izzeddin Çalislar, c’est l’une des clés pour comprendre la réélection de l’AKP l’année dernière, malgré la montée de la dictature.