Gaziantep, envoyé spécial
Les violences ont commencé à l’été 2014 dans les rues de Gaziantep, au Sud-Est de la Turquie. Des réfugiés syriens frappés, pourchassés par des habitants qui leur demandaient de retourner dans leur pays. La vague s’est propagée dans le pays, de très nombreuses boutiques syriennes ont été dévastées, plus de 50 réfugiés tués, dont une dizaine pour la seule ville de Gaziantep. Les heurts avaient débuté à Karayilan, quartier populaire où la sociologue Pinar Senoguz mène un travail de terrain sur les interactions entre populations turque et syrienne. Elle estime que c’est un quartier qui permet de comprendre toute l’histoire
. Les violences se sont heureusement calmées mais les tensions restent vives. De quoi se nourrissent-elles ?
Dans un petit restaurant de Karayilan, le patron s’affaire au-dessus du feu. L’établissement est minuscule, réputé pour ses brochettes de foie cuites sur les braises, ses piments grillés. La salle est enfumée, les yeux piquent. La plupart des clients sont turcs. Un gamin syrien, Mohammed, 12 ans, assure le service (lire l’épisode 17, « Les petites mains syriennes de Turquie ») sans jamais s’arrêter. Le patron, turc, nous fait signe de manger les brochettes avec du persil, puis il cède sa place au-dessus des braises pour parler de son quartier, des violences de 2014. « Tout a commencé quand une famille de Syriens a eu un retard de loyer, raconte-t-il. Le propriétaire est venu et une femme était seule à la maison, il a voulu se payer sur elle. Le mari est arrivé, il a tué le propriétaire avant de prendre la fuite. Les violences ont commencé là, pour venger le propriétaire. Mais ce n’était qu’un prétexte. Ce qu’ils voulaient, c’était s’en prendre aux Syriens. » La plupart des agresseurs qui ont mené le pogrom de 2014, armés de bâtons ou de couteaux, étaient plutôt jeunes, plutôt pauvres.

Les ruelles sont très en pente à Karayilan. Des gamins y jouent au football entre des gecekondu, immeubles disparates construits dans la deuxième moitié du XXe siècle sans aucune autorisation. Des femmes syriennes discutent devant une maison, montrent deux balayeurs turcs du menton. Selon elles, ils font exprès de balayer partout sauf devant les immeubles où habitent des Syriens. On s’approche des deux hommes, l’un d’eux s’appuie sur son balai le temps de discuter, sans fard : « Ce pays commençait à émerger, dit-il.