Les fins de mandat sont des débuts de campagne. Dans les habits de président de la République campe déjà un candidat qu’il faut conseiller, voire influencer, dans la perspective de la présidentielle. La mise en ordre de marche du pouvoir pour 2022 a commencé avec l’arrivée de Jean Castex à Matignon en juillet dernier (lire l’épisode 17 de la saison 2 des Conseillers). La nomination de l’ex-conseiller de Nicolas Sarkozy annonçait un tournant sur le fond, inspiré de l’ex-Président élu dix ans avant Emmanuel Macron. En cette rentrée, la sécurité est devenue l’un des axes majeurs des interventions du chef de l’État (lire l’épisode 45 d’In bed with Macron). Lors de son discours au Panthéon, le 4 septembre dernier, pour le 150e anniversaire de la proclamation de la République, il a également annoncé un projet de loi contre les « séparatismes », qui sera présenté à l’automne au Parlement. Changement d’époque après trois ans d’exercice du pouvoir : la « start-up nation » et la « libération des énergies » vantées depuis 2017 ont, elles, été reléguées dans les oubliettes du quinquennat.
En coulisse, la valse des conseillers a repris de plus belle pour s’aligner avec cette nouvelle donne. C’est aussi un rituel de la vie élyséenne où les journées à rallonge mettent les organismes à rude épreuve. Au printemps 2019, en pleine crise des gilets jaunes, plusieurs fidèles conseillers de la campagne victorieuse avaient déserté les soupentes du Château (lire l’épisode 2 de la saison 2). Arrivé à cette période comme conseiller spécial d’Emmanuel Macron, Philippe Grangeon est à son tour en train de quitter l’Élysée ces jours-ci. Cet ancien conseiller en com de la CFDT devrait se replier sur le parti de La République en marche, où il siège au bureau exécutif. Il avait livré une bataille usante pendant la réforme des retraites contre les tours de vis budgétaires de Matignon et Bercy (lire l’épisode 10 de la saison 2)
Parmi les conseillers qui sont partis, certains restent influents, comme Sylvain Fort, ancienne plume du Président, qui conseille toujours officieusement le chef de l’État. Il avait déjà œuvré à la campagne de réélection (perdue) de… Nicolas Sarkozy, en 2011, au sein du « groupe Fourtou », du nom de l’ex-patron de Vivendi, cénacle informel qui réunissait alors patrons, politiques et journalistes. À l’Élysée, le conseiller chargé des questions de mémoire, Bruno Roger-Petit, longtemps placardisé, travaille activement au retour de la laïcité et des thèmes républicains dans les discours présidentiels. Ancien journaliste, éditorialiste politique et grand admirateur de François Mitterrand, il fut un porte-parole de l’Élysée très maladroit pendant l’affaire Benalla. Et a œuvré à rapprocher Emmanuel Macron de Valeurs actuelles, grâce à ses liens avec son directeur de la rédaction, Geoffroy Lejeune, comme l’avait révélé Le Monde. Ce tournant droitier de la ligne macroniste sera un défi pour le nouveau conseiller en communication de l’Élysée, Clément Leonarduzzi, tout juste arrivé début septembre. Formé par Marie-France Lavarini, l’ex-conseillère en communication de Lionel Jospin à Matignon, ancien président exécutif de l’agence Publicis en France, il est plus proche de la gauche et du centre.
Après son départ du gouvernement, François Bayrou n’a jamais cessé d’échanger avec Emmanuel Macron.
Dans ce tableau de l’entourage élyséen, un homme du centre fait son grand retour : François Bayrou endosse pour la première fois un rôle de conseiller. Le 3 septembre, il a été nommé haut-commissaire au Plan, épicentre de l’expertise d’État ressuscité par l’onde de choc de la pandémie. Par le passé, la trajectoire de cet élu local, ancien ministre et trois fois candidat à la présidence de la République, n’est passée que brièvement, entre 1979 et 1981, par un cabinet ministériel, comme chargé de mission auprès du ministre de l’Agriculture Pierre Méhaignerie. L’ambition de cet agrégé de lettres classiques, jamais passé par les bancs de l’ENA, fut très tôt politique et non technocratique. Mais son retour vient boucler la boucle d’un mandat à multiples rebondissements, dès ses premiers pas. Nommé garde des Sceaux en mai 2017, François Bayrou avait dû lâcher son portefeuille en juin, après sa mis en examen dans l’affaire des permanents du Modem soupçonnés d’avoir occupé des emplois fictifs comme assistants parlementaires à Bruxelles. « Après son départ du gouvernement, François Bayrou n’a jamais cessé d’échanger avec Emmanuel Macron », confie-t-on volontiers dans le cercle des conseillers plus discrets du chef de l’État. À la tête du Plan, il a pour mission de penser l’après-Covid-19, mais aussi de plancher sur un programme pour l’échéance de 2022
En attendant, le pouvoir qui voulait « disrupter » les vieilles pratiques politiques fait comme tous les autres : il nomme ses ex-conseillers les plus fidèles à des places de choix dans la haute fonction publique, notamment dans le corps préfectoral. L’ancien conseiller sécurité d’Emmanuel Macron, Laurent Hottiaux, a été nommé préfet des Hauts-de-Seine. Son ex-cheffe de cabinet, Anne Clerc, y a décroché le poste de préfète déléguée pour l’égalité des chances. L’ex-conseiller en communication de l’Élysée, Joseph Zimet, historien de formation, est nommé préfet de la Haute-Marne. La plus grosse promotion revient à l’ancien directeur de cabinet de Christophe Castaner place Beauvau, Stéphane Bouillon, nommé secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Jean-Marie Girier, l’un des artisans de la campagne de 2017, ancien bras droit de Gérard Collomb, devient à 36 ans préfet du territoire de Belfort, le plus jeune de France. Quant à l’ancienne conseillère santé de l’Élysée, Marie Fontanel, partie juste avant que la pandémie de coronavirus ne s’abatte sur l’Hexagone, comme l’avait révélé Mediapart, elle prend la direction du Conseil de l’Europe comme représentante permanente de la France. Le pouvoir s’assure ainsi des relais dans la haute administration, où il comptait jusqu’à présent très peu de recrues.
Alors qu’En Marche a perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale (où le groupe est tout de même désormais dirigé par un fidèle, Christophe Castaner), dans les cabinets ministériels, Emmanuel Macron a veillé à placer des proches, jusqu’à Matignon où le directeur de cabinet de Jean Castex n’est autre que son ami Nicolas Revel