L’Union européenne est au taquet sur le plastique. Au printemps 2019, elle adoptait une directive interdisant les produits plastique à usage unique les plus fréquemment retrouvés sur les plages, gobelets, pailles et consorts, se targuant sans rougir de proposer « l’instrument juridique le plus ambitieux au niveau mondial pour lutter contre les déchets marins ». Juste derrière les gaz à effet de serre, néfastes pour le climat, l’ennemi public numéro deux était clairement identifié et sa trombine placardée au fronton de la Commission européenne. Mais ça, c’était il y a un an. Il a suffi d’une poignée de semaines pour qu’une épidémie inédite signe le retour en grâce du pestiféré d’hier : masques en polypropylène, bouteilles de gel hydroalcoolique en PET (polytéréphtalate d’éthylène), cloisonnettes en plexiglas, visières en PVC, emballages en polyéthylène, produits Amazon emmaillotés dans du polystyrène… Chaque jour, dans les transports, les supermarchés et les hôpitaux (lire l’épisode 5 de la série Le Jour d’après), mais aussi sur les trottoirs, dans les rivières et les incinérateurs qui brûlent à tout-va, c’est le bal du plastique.
Même s’il est probable que la production globale de plastique aura diminué cette année car les secteurs les plus plastivores, comme la construction, l’automobile ou le textile, pâtissent du fléchissement économique, la consommation de certains produits s’est mise à flamber. La pandémie et l’explosion de déchets plastiques qu’elle génère ne font que rendre plus visible une réalité un brin sournoise : le plastique n’est pas mort. Il n’est pas même en fin de vie. Il bouge plus que jamais.
Car s’il est polluant, souvent toxique, gros émetteur de gaz à effet de serre et issu à 99 % des énergies fossiles, le plastique n’en est pas moins un matériau aux formidables propriétés. En un peu plus d’un siècle, il a révolutionné la vie sur terre. Léger, polyvalent, transparent, résistant à la chaleur, il s’est rendu indispensable dans la conservation de certains aliments, dans le milieu médical, le bâtiment, les transports, l’électronique… et apparaît aujourd’hui comme un partenaire incontournable de la transition énergétique (batteries automobiles, turbines d’éoliennes…). Le plastique a tant d’atouts qu’il sera
Le plastique agit comme un révélateur de notre obsession pour le court terme, de notre dépendance aux énergies fossiles, (…) de l’effondrement de la biodiversité…
Depuis quelques années, les études se multiplient, au point que les chiffres
Cette litanie, David Azoulay la connaît bien. Depuis dix ans, cet avocat spécialisé en droit international de l’environnement et coordinateur d’un rapport extrêmement documenté sur les dangers du plastique, travaille pour l’ONG Ciel (Center for International Environmental Law) sur les nanomatériaux et la gestion des produits chimiques. Ses amis ne comprennent toujours pas ce qu’il fait. « Alors que le plastique, dit-il, j’en parle à ma grand-mère et elle comprend instinctivement que ça pose problème. Concret, proche du quotidien de chacun, le plastique est un symptôme des maux de notre société et un excellent véhicule pour aborder l’ensemble des défis auxquels elle est confrontée. Il agit comme un révélateur de notre obsession pour le court terme, de notre dépendance aux énergies fossiles, de notre incapacité à contrôler l’utilisation de milliers de substances toxiques, du sacrifice des populations les plus vulnérables, premières victimes des impacts toxiques du plastique tout au long de sa chaîne de production et d’élimination, de l’effondrement de la biodiversité, de la privatisation des profits et de la mutualisation des pertes… »
Depuis quelques années, les citoyens semblent prendre conscience de ces défis, et pas seulement en Europe. Des lois sont adoptées ici et là pour tenter de maîtriser la crise : interdiction des sacs plastique au Rwanda, des plastiques à usage unique en Chine ou encore des microbilles de plastique dans les cosmétiques aux États-Unis. Au point que certains se prennent à croire que cette pollution sera bientôt éradiquée. Leur espoir est d’autant plus compréhensible que l’industrie ne ménage pas ses efforts pour le leur suggérer. Par exemple, en sponsorisant les nettoyages de plage en Espagne ou en Côte d’Ivoire mais aussi les chasses aux granulés de plastique qui s’échappent par millions des usines pétrochimiques du port d’Anvers. Ou alors, plus ambitieux, en créant en 2019 une mégacoalition de la propreté baptisée « The Alliance to End Plastic Waste » : les 50 plus gros plastiqueurs de la planète ont promis d’investir sous cinq ans la bagatelle d’1,5 milliard de dollars (1,3 milliard d’euros)
C’est que la lutte contre le changement climatique est passée par là. Depuis l’Accord de Paris de 2015 qui impose aux États membres de l’ONU signataires de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, les énergies fossiles ne sont plus en odeur de sainteté sur la scène internationale. Menacée par une baisse des ventes de carburant, l’industrie pétrolière organise d’ores et déjà le coup d’après : ce sera le plastique. Alors qu’aujourd’hui entre 10 % et 15 % d’un baril de pétrole sont consacrés à la pétrochimie, et principalement au plastique, des raffineurs saoudiens et chinois expérimentent depuis peu de nouvelles technologies leur permettant d’extraire 40 % à 80 % de ces dérivés. Une révolution.
Pour détourner l’attention de cette gênante dichotomie
Quant à la solution des bioplastiques brandie par certains, comme le Brésilien Braskem qui fabrique des polymères à partir de canne à sucre, en est-elle vraiment une ? Aujourd’hui, ils représentent moins de 1 % de la production mondiale de plastique et, contrairement à ce que leur nom peut laisser penser, ils ne sont pas plus biodégradables que les plastiques issus du gaz et du pétrole, et pas moins toxiques, car la dangerosité d’un polymère vient généralement des additifs qu’on lui adjoint. En outre, à terme, ils pourraient causer de graves pénuries alimentaires, pour cause d’accaparement des sols.
Cela fait plus d’un demi-siècle que les écologistes mettent en garde contre le péril plastique, mais moins d’une dizaine d’années que la problématique prend de l’ampleur, grâce notamment aux défenseurs des océans qui ont alerté sur les gyres, ces zones marines où s’accumule le plastique au gré des courants. Le scandale a encore grossi quand aux macrodéchets est venue s’ajouter la découverte des microplastiques, issus soit de la dégradation des déchets plus gros sous l’effet du soleil et de la corrosion, soit des usages agricoles, des cosmétiques, des vêtements synthétiques ou encore des pneus, dont les poussières invisibles imprègnent les océans et leurs occupants. La journée mondiale des océans, ce lundi 8 juin, a été l’occasion d’alerter sur les dangers de ces nouveaux aliens, plus petits que des grains de riz, mais dont « les effets pourraient être plus désastreux que ce que l’on a imaginé », selon l’océanographe Anne-Leïla Meistertzheim, qui a participé en 2019 à l’expédition Microplastiques organisée par la fondation Tara Océan. D’autant, rappelle la chercheuse au CNRS, que l’estimation de dix millions de tonnes rejetées dans l’océan chaque année concerne les déchets flottants. « Ils ne représentent que 1 % des plastiques, les 99 % restants sont dans le fond… »