À moins de deux mois du second tour, il n’y a plus une minute à perdre. En ce 11 mars 2012, Nicolas Sarkozy rassemble ses partisans à Villepinte, dans le plus grand parc des expositions français, en Seine-Saint-Denis. Près de 50 000 personnes affluent, arborant tracts et affiches barrés du slogan « La France forte », pour assister à un show de plus de deux heures où le Président sortant promet notamment, au cours d’un éventuel second mandat, d’utiliser le référendum pour surmonter certains « blocages » causés, selon lui, par les « corps intermédiaires » qui craignent de « perdre leur influence ». Entre la foule et le plafond, des caméras Louma, sur leur bras articulé, accompagnées de plusieurs Steadicam, pour des travellings fluides, assurent la retransmission du meeting en forme de véritable show télévisé, en direct sur les chaînes d’information continue. Les images claquent ; c’est l’effet recherché. Car déjà, le candidat socialiste, François Hollande, talonne le locataire de l’Élysée dans les sondages.
Au lendemain de cette démonstration de force à grands renforts de moyens, la polémique sur le coût du meeting est déjà lancée. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements publics (CNCCFP) assure alors que « toutes les dépenses » du meeting seront comptabilisées dans les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy. Précision utile car un conseil national de l’UMP organisé le matin de l’événement a envisagé de prendre en charge une partie des frais engendrés par l’événement. À l’époque, son coût est évalué à 3 millions d’euros, au doigt mouillé, par les observateurs. Sept ans plus tard, un certain Franck Attal, dirigeant de la société Event & Cie, filiale de l’agence Bygmalion, révèle un chiffre deux fois plus élevé : 5,6 millions d’euros.

La machine de com va poursuivre sa course folle. En début de campagne, le camp Sarkozy avait programmé quatre meetings (celui de Villepinte et trois autres en France). Trois mois plus tard, pas moins de 44 ont été organisés pour tenter d’enrayer la spirale de la défaite. Avec parfois, trois équipes sur les routes en même temps pour assurer la logistique des différentes dates. Mais où le candidat Sarkozy est-il allé chercher l’argent ? Fin 2012, la fameuse CNCCFP annonce que le plafond des dépenses de sa campagne a été dépassé
Mais le scandale n’éclate véritablement que quelques mois plus tard, sous la forme d’un pétard mouillé lancé par le magazine Le Point. Dans son édition du 27 février 2014, un mois avant les élections municipales organisées cette année-là, le magazine publie en une ce qu’il appelle « l’affaire Copé ». Dans le surtitre, il s’interroge : « Sarkozy a-t-il été volé ? » À l’intérieur, des proches de Jean-François Copé, alors président de l’UMP, sont soupçonnés d’avoir organisé un « hold-up » sur les finances du parti en multipliant les commandes auprès de l’agence Bygmalion. Grâce à un système de surfacturation des meetings de Nicolas Sarkozy, Bygmalion se serait mis dans la poche jusqu’à 8 millions d’euros. Les deux fondateurs de l’agence, Bastien Millot et Guy Alves, sont dans le viseur. C’est la première occurrence dans la presse de l’affaire Bygmalion, qui commence sous la forme d’une « affaire Copé »… et d’une fausse piste

Le contexte politique est essentiel à la compréhension. Sur les décombres de la défaite de 2012, la bataille est féroce à droite. Ses trois protagonistes, Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé et François Fillon, sortiront tous grands perdants de cette guerre fratricide. Après son échec à la présidentielle, Nicolas Sarkozy est rapidement rattrapé par les affaires : en avril 2013, une information judiciaire a été ouverte sur les financements libyens présumés de sa campagne de 2007 (lire l’épisode 8 de notre série Sur écoute, « Derrière les écoutes, l’entente avec Kadhafi ? ») et l’affaire Bismuth a éclaté début 2014. Ce qui ne l’empêche pas de penser à son retour en politique. Le clan Copé soupçonne une alliance entre sarkozystes et fillonistes pour déboulonner leur champion de la présidence du parti. Le 14 mai 2014, l’affaire rebondit dans les colonnes de Libération, qui révèle que certaines prestations facturées par Bygmalion à l’UMP n’auraient jamais été honorées. Surtout, le quotidien dévoile un système de double comptabilité mis en place au sein du parti pour masquer près de 18 millions d’euros de frais, qui n’apparaissent pas dans les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy.
Toute la hiérarchie, de haut en bas, a bafoué les règles de façon calculée et admise pour gagner à tout prix.
Le 26 mai 2014, Jérôme Lavrilleux est invité sur BFMTV pour commenter le résultat des élections européennes

Ce sera l’un des principaux enjeux du procès : Nicolas Sarkozy était-il au courant de la double comptabilité et des fausses factures ? « J’ai appris le nom de Bygmalion longtemps après la campagne présidentielle ! », a assuré l’ex-président de la République le 21 septembre 2014, sur le plateau du journal de 20 heures de France 2. Il comparaît avec treize autres coprévenus, dont plusieurs cadres de sa campagne et de l’UMP. Dans son demi-aveu sur BFMTV, Jérôme Lavrilleux avait protégé les ténors de la droite : selon lui, ni Jean-François Copé, ni Nicolas Sarkozy n’étaient au courant de l’emballement des dépenses. Avant de finalement mettre en cause toute la chaîne de commandement. Dans une interview à L’Obs publiée en octobre 2015, il affirme : « Toute la hiérarchie, de haut en bas, a bafoué les règles de façon calculée et admise pour gagner à tout prix. » Autre personnage central de l’affaire, qui comparaît lui aussi : le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy, Guillaume Lambert. Lui était au contact direct du candidat, quotidiennement, et répercutait les décisions stratégiques aux équipes de campagne. Récemment, il s’est montré formel : dès le début du mois de mars 2012, il a mis au courant le candidat, notes à l’appui, de la nécessité de « corriger la trajectoire » des dépenses et réaliser des économies, a-t-il expliqué dans un documentaire diffusé le 11 mars, dans le Complément d’enquête de France 2. Puis, en avril 2012, les experts comptables ont interpellé personnellement, par écrit, le Président-candidat, a-t-il aussi rappelé, toujours notes à l’appui.
De son côté, Bastien Millot se veut en retrait et assure n’avoir rien su de la campagne de Nicolas Sarkozy, avec qui il entretenait des relations tendues. Il était alors l’un des deux dirigeants de Bygmalion, actionnaire de la société à hauteur de 23 % : pouvait-il vraiment tout ignorer de la double facturation mise en place au sein de sa société ? En revanche, selon lui, Nicolas Sarkozy connaissait sans aucun doute Bygmalion. « Vous pouvez reprendre tous les articles de journaux dès 2005, et même les livres publiés, disant que j’étais dans le collimateur de Sarkozy ! Vous en avez même à l’époque où j’étais déjà président de Bygmalion ! Ça veut dire qu’il aurait eu dans le collimateur quelqu’un dont il ignorait l’activité professionnelle… C’est surréaliste », déclarait-il en 2016, dans un livre. Dans son ordonnance de renvoi, le juge Tournaire stipule pour sa part que l’enquête n’a pu établir que Nicolas Sarkozy avait ordonné, « ni même qu’il avait été informé », de la flambée des dépenses.
Quant à Jean-François Copé, il a bénéficié d’un non-lieu dans l’affaire. Mais le voilà rattrapé puisque Franck Attal, l’un des dirigeants de Event & Cie, l’a cité à comparaître comme témoin. Parmi le trio des meilleurs ennemis de la droite, il a pour l’instant échappé à la justice, à l’inverse de François Fillon, condamné à cinq ans de prison dont deux ferme dans l’affaire des emplois fictifs de sa femme Penelope

Un peu plus de deux semaines après sa condamnation dans l’affaire des écoutes (lire l’épisode 9 de la série Sur écoute, « Sarko KO sur toute la ligne ») à trois ans de prison, dont un ferme
Ce point sera examiné le 20 mai à l’ouverture de l’audience.