Comme tous les secteurs industriels, l’automobile est à l’arrêt depuis le début du confinement. Toutes les concessions sont fermées et le marché français a reculé de près de 90 % en avril ; les usines commencent à peine à redémarrer dans quelques pays déjà déconfinés (Suède, Slovaquie, Chine) et la crise économique historique qui suivra la crise sanitaire du coronavirus ne va pas donner envie d’acheter une voiture neuve. Si on était dans Auto Plus, on dirait bien que l’industrie de la voiture individuelle s’est arrêtée au frein à main au bord du précipice, avec les deux roues avant qui patinent dans le vide. Alors, déjà, les différents représentants du secteur s’agitent, à Bruxelles comme à Paris, pour demander de l’aide aux autorités. Des prêts, un coup de pouce à la consommation… En France, cela passera par un plan de relance qui doit être présenté à la mi-mai.
Et chaque fois, un risque plane : que le soutien à ce secteur central de l’économie se fasse aux dépens de la grande transformation de l’automobile enclenchée au sein de l’Union européenne, qui exige depuis janvier que chaque constructeur réduise les émissions en CO2 de ses véhicules individuels pour atteindre la barre des 95 grammes pour chaque kilomètre parcouru (lire l’épisode 4, « En 2021, le SUV va se prendre un mur »). Le 25 mars, l’European Automobile Manufacturers’ Association (ACEA), qui rassemble tous les grands constructeurs de voitures, de camions et de motos, a ainsi adressé une lettre à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour demander des « ajustements » au calendrier des objectifs européens de réduction des émissions. « Aucune production, développement ou test ne peut avoir lieu en ce moment. Cela bouleverse les plans que nous avions élaborés pour nous préparer à nous conformer aux lois et règlements européens (…) dans les délais applicables », explique ce courrier. Du bon vieux lobbying, quoi : tout ce que les observateurs attendaient de la part d’une industrie qui n’avait pas vraiment envie de chercher un avenir à la voiture à essence et a tout tenté pour réduire les exigences européennes en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Tout cela alors que les transports terrestres sont responsables de près de 30 % des émissions totales de CO2 de l’Union et que les voitures individuelles comptent pour 60,7 % d’entre elles sur le continent, selon les données de la Commission européenne.
Nous avons investi (…) des sommes colossales pour le développement de nos véhicules électrifiés pour nous conformer aux nouvelles normes. Si on devait remettre en cause l’objectif de 95 g, ce serait sans doute une lourde erreur parce que tous ces investissements ne pourraient pas se traduire en ventes.
Cette lettre, « c’était ce qu’on attendait, ça n’a pas été une surprise », s’amuse Saul Lopez, qui est chargé des mobilités électriques pour Transport & Environment, la principale fédération d’ONG du secteur à Bruxelles.