La matinée tirait à sa fin quand la police est arrivée à l’école. Depuis près d’une semaine, j’étais en Turquie, sixième séjour depuis un an dans ce pays qui, dès le début, a fait partie des obsessions des Jours. Il s’agissait cette fois de raconter la bascule que subit ce pays depuis le coup d’État manqué du 15 juillet dernier (lire l’épisode 24 de La Charnière). Et puis le reportage lui-même a basculé, j’ai été arrêté, retenu sans explication. Moment désagréable, qui est aussi une petite lucarne entrouverte sur ce que vivent ces temps-ci, de façon infiniment plus grave, des dizaines de milliers de Turcs.
Pendant les six jours précédents, j’ai eu le temps de rencontrer beaucoup de monde, malgré la terreur, les menaces sur les anciens gülénistes notamment. Je voulais vérifier les rumeurs et les rapports (de Human Rights Watch et d’Amnesty International, notamment) évoquant la torture dans les commissariats et traiter des conséquences de ces purges ahurissantes, pour ceux qui les subissent, et pour le fonctionnement du pays. Avant de continuer, j’ai fait un break à Gaziantep, tout au sud de la Turquie, près de la frontière syrienne. Quelques jours de travail avec un photographe sur un tout autre sujet, guère plus réjouissant : l’écho de la guerre à Alep dans les familles qui vivent à Gaziantep.
Un contact syrien m’avait parlé de cette école clandestine, pas enregistrée auprès des autorités, dans un quartier pauvre de banlieue. Quelque 300 enfants y apprennent l’arabe, le turc et les mathématiques dans une grande bâtisse anonyme en parpaings. Deux grandes classes avec des tapis au sol, plus la cuisine où l’on fait également cours. Les enfants se relaient, par tranches de deux heures, et des mères viennent le soir apprendre à parler turc. L’initiative supplée le système scolaire local, complètement dépassé, et qui n’accepte le plus souvent que les réfugiés parlant déjà le turc (lire l’épisode 19 de La Charnière).
Soudain, deux policiers débarquent. L’un d’eux très énervé. Ils piétinent les chaussures des enfants dans l’entrée. L’agent veut nos passeports puis nos cartes de presse, il dit qu’un voisin nous a vus sur le toit prendre des photos du quartier, il nous ont trouvés louches, qu’est-ce que nous faisons là ? Il semble découvrir l’école, appelle le service des étrangers. Deux nouvelles voitures arrivent, passeports, cartes de presse, que faites-vous là ? En Turquie, les services de police sont nombreux et assez désorganisés, jamais coordonnés. Quand on est journaliste, à chaque contrôle, il faut être patient, plusieurs fois montrer ses papiers.
L’un des policiers arrivés en renfort, un costaud avec une très belle bague ottomane à l’annulaire droit, me demande qui m’a parlé de cette école. Mon contact m’avait demandé la discrétion. J’explique que le père syrien d’un élève m’a indiqué comment trouver l’école. Le policier ne me croit pas, il s’énerve, veut le nom de mon contact, et décide de nous embarquer, avec le photographe et le directeur de l’école. Pour vérifier, dit-il en turc, si je n’ai pas de liens avec la fondation qui gère l’école non déclarée. En un an, c’est la première fois que nous sommes embarqués, malgré de très nombreux contrôles, au printemps dernier notamment, lors d’un précédent reportage dans des villes kurdes qui sortaient de couvre-feu, étaient encore bouclées de 18 heures jusqu’au matin (lire l’épisode 9 de La Charnière).
C’est le début de l’après-midi ce vendredi. Au commissariat de Gaziantep, on nous fait asseoir sur des chaises le long d’un mur, dans un bureau étroit. On nous propose du thé. Trois policiers s’intéressent à nous, et en fait surtout au journaliste français. Aucun d’eux ne parle anglais ou français. Ils veulent comprendre ce que je fais là. Ils veulent mes numéros de téléphone, savoir où je vais aller ensuite, sur quoi je travaille. Curieusement, ils ne me demandent pas où je loge à Gaziantep, ni où je suis allé avant. Ni même pour quel média je travaille. Je me demande s’ils savent tout cela, si notre arrestation est vraiment fortuite. D’un bout à l’autre de ces quelques jours, je n’aurai jamais de traducteur officiel, ne saurai jamais formellement ce que l’on me reproche, ni dans quel service je me trouve. Le policier à la bague ottomane me dit seulement que je n’ai pas d’autorisation pour travailler à Gaziantep.
Nous patientons ensuite pendant des heures dans une sorte de salle d’attente, sans la moindre information. Je peux utiliser mes téléphones sans souci, ai prévenu ma rédaction. Puis, en fin d’après-midi, l’homme à la bague ottomane nous dit que nous allons bientôt sortir, il faut seulement une instruction des services du gouverneur (le préfet). Je demande à aller aux toilettes, elles sont inondées, cela pue. Les choses traînent encore, je pense à la journée de travail fichue, à la famille syrienne chez qui nous devons aller le soir. Et finalement, l’un des policiers revient nous chercher, nous retournons dans le premier bureau. Nous restons debout face à lui, pas mécontents d’en avoir fini. Le policier s’assoit, regarde trois papiers qu’il a disposés sur son bureau. Il semble hésiter puis prend un premier document et dit au directeur de l’école qu’il est libre, il faudra seulement qu’il pense à faire enregistrer son établissement. Puis il attrape le second et dit au photographe qu’il peut partir, lui aussi. Enfin, il saisit la dernière feuille, la contemple rêveusement (je comprendrai ensuite ce que cet instant a de sadique). Et il parle lentement en turc. Je vois mon photographe pâlir, argumenter. Pas besoin de traduire, j’ai compris : ils veulent me garder. Je sens que le moment bascule, que l’on se dirige vers des temps plus compliqués pour moi. Je change alors de ton. Depuis le début, je faisais profil bas, souriant, comme on recommande aux journalistes étrangers de le faire en Turquie, pour ne jamais braquer les autorités, qui se vexent et vous compliquent ensuite la vie. D’une voix ferme, en anglais, je demande à prévenir mon ambassade, à avoir un traducteur officiel, et à connaître les charges éventuelles qui pèsent contre moi. Le policier me laisse passer un seul coup de fil, j’appelle un contact à l’ambassade à Ankara, puis il me dit qu’on va me conduire dans une « guesthouse » où il y aura un traducteur, où on me dira ce qu’on me reproche. Comme je m’éternise au téléphone, il ajoute que si je ne me laisse pas faire ils m’embarquent de force.
Nous partons, l’homme à la bague ottomane me conduit à l’hôpital avec un collègue. C’est la procédure pour s’assurer que je n’ai pas de soucis de santé, que je n’ai pas été maltraité au commissariat. Là-bas, son collègue attrape un médecin par le bras, il s’éloignent, devisent, rigolent. Visiblement, ils se connaissent. Puis le médecin me demande sèchement : « No problem ? » Il n’attend pas ma réponse, griffonne deux mots en turc sur un document que lui donne le policier et appose un coup de tampon. Depuis quelques jours, des témoins rencontrés discrètement me racontaient que cette procédure dans les hôpitaux est une vaste plaisanterie. Les traces laissées parfois par les passages à tabac y sont rarement répertoriées. Et quand c’est le cas, les victimes ne récupèrent jamais les rapports.
On repart et la voiture traverse Gaziantep. Les policiers m’ont laissé mes téléphones, j’en profite pour nettoyer discrètement ce qui ne l’était pas. La nuit tombe, les magasins ferment. J’aime bien cette ville, ses échoppes, sa langueur moyen-orientale. Je me demande où je vais, essaye de me représenter cette « guesthouse ». À la sortie de l’agglomération, sur une colline, un bâtiment de trois étages, cerné de murs et de barbelés, éclairé de lumières jaunes. C’est un centre de rétention. Qui ressemble à une prison. On descend. À l’entrée, un portique de sécurité. Un agent vide mon sac sur une table, mes vêtements, mes papiers, il fouille. J’enlève chaussures, ceinture, on me donne des sandales avec des boucles en métal, elles sonnent sous le portique, l’agent m’y fait repasser trois fois, je lui montre les sandales, il ne répond rien, ne me regarde pas, m’ordonne d’aller dans une pièce où je dois me déshabiller. Le strip-tease terminé, on me conduit dans un vaste bureau où travaillent plusieurs personnes. Une surveillante remplit des papiers qu’elle veut me faire signer. C’est écrit en turc. Je demande un interprète. Personne ne comprend. J’essaie depuis neuf mois d’apprendre un peu le turc (de façon un peu paresseuse lorsque je suis en France). J’utilise quelques mots, ajoute un peu d’anglais. Ils répondent avec agressivité, mépris. Les journalistes occidentaux ne sont plus très bien vus ces temps-ci en Turquie. Le pouvoir, qui a réussi à museler « ses » propres journalistes, accuse les médias étrangers de déstabiliser le pays. Le peuple, désinformé, manipulé, suit en général comme un seul homme, ou presque.
Finalement, le chef de détention arrive et lance un ordre, une surveillante quitte la pièce, revient avec une gamine, elle a peut-être 8 ou 9 ans, une petite Syrienne qui se trouve en rétention, qui parle un peu anglais et turc. Ils lui expliquent ce qu’il y a sur le papier. J’écoute la môme, lui souris pour la rassurer, puis me tourne vers eux, et leur dis en anglais : « Ce n’est pas sérieux, c’est une enfant. Vous faites votre travail, je n’ai rien contre vous, mais je veux un interprète, et savoir ce qu’on me reproche. » La fillette traduit. Ils ne semblent pas très fiers. Finalement, je refuse de signer, écris à la place « I don’t understand », et on me conduit en cellule, à la main un sac poubelle contenant ce qu’on me laisse en détention : des chaussettes et des slips (mes autres vêtements sont restés à l’hôtel), ainsi, ô bonheur, que mon livre, qui va m’accompagner pendant les jours à venir. Un roman de Yachar Kemal, recueil épais des quatre tomes de La saga de Mèmed le mince (Gallimard, 2011), l’histoire pleine de poésie d’un bandit kurde qui résiste à l’oppression dans les montagnes d’Anatolie au XXe siècle, après la déclaration de la République. Je n’en reviens pas qu’on m’ait laissé mon livre. C’est un trésor au moment de goûter à l’enfermement.
Bienvenue, mon frère. Ne t’inquiète pas. Tu vas bien ?
La cellule est assez grande, environ 20 mètres carrés. Un garçon se trouve là, un surveillant lui donne un ordre bref, il quitte la pièce. Ils sortent aussi et ferment à clé. Je vais à la fenêtre, dont un pan s’ouvre sur des barreaux et un caillebotis aux mailles de fer serrées. Sous la lune, je vois les collines aux courbes douces, le paysage désertique de Gaziantep, quelques champs d’oliviers. La nuit est douce. Des cigales chantent sur un rythme très calme. Un soldat fait le tour de l’enceinte à pas lents, fusil-mitrailleur à l’épaule.
Dans la cellule, les draps sont sales, gris. Il y a trois couchettes doubles, aux lits superposés. J’entends beaucoup de bruit derrière la porte. Les autres cellules sont ouvertes en journée, les occupants, des garçons assez jeunes, la plupart arabes, m’ont regardé arriver, l’air interloqué. Quelqu’un ouvre la lucarne qui permet de contrôler la cellule du couloir. Un jeune Algérien qui me parle en anglais puis en français au travers de la vitre. Il a une trentaine d’années, un visage marqué de cicatrices, il s’appelle Madani. « Bienvenue, mon frère, dit-il. Ne t’inquiète pas. Tu vas bien ? » Je lui souris, il m’explique que je suis le seul Européen ici, me demande si j’ai un problème de passeport, si j’ai besoin de quelque chose. Je lui réponds qu’un savon me ferait plaisir. Des toilettes se trouvent dans une petite pièce dans ma cellule, avec une douche à côté, mais il n’y a pas de papier, seulement une brosse à dents très sale pour nettoyer la fosse… « Pas de problème », dit Madani. Il a quitté l’Algérie pour la Turquie en avion, a rejoint la Grèce en début d’année et fait partie des premiers renvoyés vers la Turquie, en mars, quand Ankara et l’Union européenne ont signé un accord de réadmission, contre de l’argent et la promesse d’une suppression des visas vers l’espace Schengen (lire l’épisode 12 de La Charnière).
Quand les gardiens rouvrent la porte un peu plus tard, Madani me glisse un bout de savon. Les garçons croisés là se montreront d’une solidarité très chaleureuse. La plupart croupissent ici depuis des mois, sans nouvelles, sans avocat. Neuf mois déjà pour Madani. La porte s’ouvre à nouveau. Le jeune homme de tout à l’heure revient. Il s’appelle Emad, est iranien, a 24 ans, un regard intelligent. D’emblée, on s’entend bien. Il est arrivé en juin, n’a aucune nouvelle de l’extérieur, pas d’avocat bien sûr, pas d’argent.
À l’accueil, on m’a refusé le droit de garder un stylo. Or, soudain, cela devient un besoin qui me semble vital. J’ai besoin d’écrire, pour consigner ces heures inhabituelles pour moi, me projeter dans mon travail, pouvoir raconter précisément ensuite ce qui m’arrive, le jour où je sortirai. Je ne sais vraiment pas à ce moment précis si je suis là pour quelques heures ou pour quelques semaines. Parce que je baigne depuis mon arrivée en Turquie dans un climat d’insécurité, d’arbitraire, de violence policière et administrative, une société où désormais la vie des gens bascule brutalement, et parfois sans raison. J’ai conscience d’être un journaliste occidental, à ce titre infiniment moins menacé qu’un enseignant turc, par exemple. Mais le président Erdogan, isolé, monte son pays contre l’Europe, contre la France, et veut faire payer à chaque fois qu’il le peut l’humiliation de la porte européenne refermée.
Je demande à Emad s’il pense possible de me trouver un bout de crayon, pour écrire. En mimant, car il ne parle pas dix mots d’anglais, et moi pas le farsi. Puis, soudain, le chef de détention arrive, avec plein de surveillants. Il a changé de ton, se fait mielleux, me demande si je manque de quelque chose. Je me dis que l’ambassade a dû contacter les autorités, peut-être le centre de rétention. Cela me rassure un peu. La France est tellement mal vue par le pouvoir en ce moment que je ne m’attends pas à ce que sa parole soit très vite écoutée, mais il y a aussi quelque chose de l’ordre du cordon, du lien à son pays, dans ce qui rassure à ce moment-là. Comme si le contact vous protégeait un peu de l’arbitraire. Je lui demande des draps, et répète que je veux savoir ce qu’on me reproche, je veux un interprète, un contact avec mon ambassade. Il a fait venir Madani dans la cellule pour traduire. Me dit que je verrai le directeur demain, que j’aurai tout ça, que je pourrai téléphoner. Bien sûr, il n’en sera rien.
En revanche, des draps propres arrivent, pour Emad et pour moi. La porte se referme. Emad me tend alors un petit bout de crayon à papier qu’il a récupéré je ne sais comment, 1,5 cm de long environ. Je le prends, souris, difficile de me faire plus plaisir. On commence à discuter. C’est fou tout ce qu’on peut se dire avec moins de dix mots communs, quand on a du temps devant soi, et le besoin de communiquer. Il vient du nord de l’Iran, a quitté des parents sans travail, une sœur et un frère qui ont des petits boulots sans intérêt. Il veut gagner un pays qui ne soit pas musulman. Il n’aime pas l’islam. Il aime le rap. J’écris soigneusement sur une page de mon livre le nom de son chanteur préféré, Shahin Najafi, qui vit en Allemagne, a quitté l’Iran pour ne pas être pendu – Emad fait le geste d’une main. Je prends quelques notes, puis m’assois, lis un peu. Alors il sort un jeu d’échecs, qu’il a fabriqué lui-même. Il a dessiné l’échiquier sur une taie d’oreiller, en tirant les traits avec une échelle de lit descellée. A découpé les pièces, le roi, la dame, les tours dans le polystyrène des barquettes de repas. A fait de l’autre côté de la taie un jeu de backgammon, auquel on joue avec des dés parfaits taillés dans du savon. Emad m’apprend plein de trucs, à préparer, par exemple, de l’eau fraîche pour le lendemain, en entourant la bonbonne d’eau en plastique avec une serviette humide, serrée par des lambeaux de draps, avant de la mettre dehors, entre la vitre et la grille.
On joue un bon moment. À une heure du matin, la lumière s’éteint, on continue dans la semi-pénombre. Les projecteurs qui éclairent les façades sont si violents qu’il est impossible d’avoir de l’obscurité la nuit. Puis on se couche. Les matelas sont financés à 85 % par l’Union européenne dans le cadre du programme de réadmission des migrants. C’est marqué dessus. Il y a le drapeau européen et le drapeau turc. J’essaie de lire, n’y vois pas assez clair, n’ai pas mes lunettes. Je me tourne un bon moment sur mon matelas européen. Dans cette situation, on s’inquiète pour l’inquiétude de ses proches, on aimerait leur passer un coup de fil, les rassurer. Et on s’angoisse beaucoup, quand on est journaliste, pour ses contacts turcs, ses relations. Même si je sais que c’est très difficile, impossible sur certains appareils, j’ai peur qu’on craque mes téléphones ou mon ordinateur, qu’on retrouve des choses dans une mémoire cachée. L’enjeu est trop lourd pour certains de mes interlocuteurs dans cette Turquie où la torture est de retour après avoir reculé à partir de 2002, sous l’AKP, et la promesse d’une possible intégration européenne. J’essaie de chasser ces idées, je ne peux rien faire pour l’instant. Je me tourne vers le mur. Le sommeil gagne doucement. Une voix d’enfant chante un air très mélancolique, à l’étage au-dessus.
Le lendemain matin, la douche est froide, c’est un très bon moment. Puis la journée commence. C’est long, une journée en détention. Très vite, je découvre le besoin de garder un rapport au temps. De connaître l’heure. Peut-être parce que le temps, malgré les décalages horaires, est un lien commun, qui nous relie au reste du monde. Je n’ai que le muezzin pour me situer entre les prières de 5, 10, 12, 15 et 17 heures. Assis à une table scellée dans le sol, j’écris, dans l’espace disponible de mon livre. Je commence sur des pages blanches qui séparent deux tomes de Mèmed. La page 719, je connais par cœur le numéro. Je me dis qu’on ne sait jamais, je suis peut-être là pour longtemps, il faut économiser le papier. Un mot est censé me rappeler une phrase. J’écris en faisant attention de ne pas aplatir mon livre, pour qu’il ne s’ouvre pas automatiquement sur ces pages manuscrites quand les surveillants le contrôleront, comme hier soir, pour voir s’il n’y a rien dedans. Je lis aussi, mais fais attention de reposer régulièrement Mèmed, pour ne pas délaisser Emad. Il parle souvent tout seul. Je n’ai jamais compris pourquoi lui est enfermé comme moi, alors que les autres sont en « liberté » dans le couloir du centre de rétention. Avec un bout d’élastique de caleçon, il chasse les mouches. Je lui demande d’essayer, me débrouille, on se lance dans un concours, il gagne 6 mouches à 5. On enchaîne sur des parties d’échecs, je prends ma revanche, puis on se met au backgammon, en apprenant à compter dans la langue de l’autre à chaque jet de dé. Désormais je sais donc compter jusqu’à six. Le jeu, la lecture, l’écriture : trésors pour un détenu.
En milieu de journée, l’inquiétude de mes proches devient une petite torture. Je veux téléphoner, prévenir, donner des nouvelles. Je frappe à la porte, les gars dehors relaient, un nouveau chef de détention arrive. Ni agressif ni mielleux comme son collègue hier soir, il ressemble à Jean-Pierre Bacri, il me plaît bien. Il me dit de m’asseoir à la table, s’assoit en face de moi, ne parle pas anglais. Il me regarde un moment puis me demande si je veux un thé, je lui réponds deux thés, en montrant Emad. Les gardiens s’affairent, dociles. Celui qui m’a fait déshabiller hier est devenu servile. Je ne le regarde pas. Le fonctionnement de l’administration turque, l’obéissance, réduit les hommes.
Le chef n’a pas grand-chose à me dire. Il est un peu embarrassé, me regarde encore longuement en silence, comme s’il cherchait quelque chose, puis, via Madani, m’explique qu’on ne peut pas téléphoner le week-end, que le directeur n’est pas là, qu’on verra lundi, et que je dois de toute façon voir la police avant qu’ils aient le droit de me laisser téléphoner à qui que ce soit.
Puis soudain, un peu avant la prière de 15 heures, les choses s’accélèrent. Jean-Pierre Bacri revient, avec plein de surveillants, et deux hommes en civil. L’un a une barbe rase ainsi qu’un très gros ventre ; l’autre une moustache épaisse et noire, tombant en cimeterre, et un très gros ventre également. Je ne sais pas qui ils sont. En trois jours, je ne saurai jamais qui sont les hommes en face de moi, s’ils sont de la police, à quels départements ils appartiennent, s’ils sont importants ou subalternes dans la hiérarchie turque. Je ne saurai jamais quelle est l’étape suivante, où l’on m’amène, dans quelle ville, quel service. Cela génère une inquiétude qu’il faut maîtriser. Un sentiment de vulnérabilité. Le sentiment d’être trimbalé, livré.
Le directeur me fait signe que c’est fini. Je me tourne vers les hommes. « Finish », confirme l’homme à moustache. Je répète en anglais : « Finish ? I’m free ? » Il répète : « Finish. » Je dois remballer mes affaires en vitesse dans mon sac poubelle, je serre la main d’Emad, un échange de regards, quelque chose se noue dans mon ventre au moment de partir. Je remonte un escalier, sac poubelle à la main, on me ramène mes affaires, et un surveillant donne au moustachu une pochette en plastique qui contient mon ordi, mes téléphones, mes papiers, mon argent. Le barbu s’approche de moi. Je finis de mettre mes chaussures, me redresse. Alors il sort une paire de menottes, me regarde dans les yeux, et demande mes poignets.
Dans la voiture, je me dis vaguement que ça peut être une formalité, une obligation de sécurité avant de me libérer. Mais je n’y crois pas. Je reste un moment démoralisé, dois me remobiliser, me reconcentrer et me préparer pour la suite. Je sens que cela va se compliquer. On repasse à l’hôpital. Cette fois, un infirmier ne lève même pas la tête, ne me pose aucune question. Il griffonne et tamponne le papier qu’on lui tend. Le gros barbu en profite pour se faire soigner – il a, semble-t-il, une angine –, passe devant tout le monde. Un jeune homme proteste, le policier à moustache lève la voix, le jeune ne se laisse pas faire, tous les autres patients lui demandent alors de se taire, leur peur est palpable. Je déteste ces deux policiers et leurs façons de ripoux. On passe par une pharmacie, pour les médocs du barbu, puis au commissariat récupérer des papiers, et un van Mercedes qui nous attend. On me fait monter sur une banquette complètement à l’arrière. Je demande où l’on va, un des policiers répond en turc : « On y va », et ils se marrent.
La nuit est tombée. La deuxième depuis mon arrestation. Le véhicule file. J’essaie de comprendre aux panneaux de l’autoroute où ils me conduisent. Parfois ils chuchotent entre eux, le reste du temps ils parlent fort. Souvent revient le nom de Fethullah Gülen, prédicateur exilé aux États-Unis qu’Erdogan accuse d’avoir fomenté le coup d’État (lire les quatre épisodes consacrés cet été à la confrérie Gülen et à ses liens avec Erdogan). Pour mon travail, depuis le coup d’Etat, j’ai rencontré beaucoup de gülénistes, passés ou actuels, le plus souvent très discrètement. Je me dis qu’ils sont peut-être au courant, et dans la pure folie dans laquelle le président Erdogan entraine son pays, ils sont capables, juste pour des rencontres, d’accuser quelqu’un de complicité de terrorisme. C’est ce qui arrive à des dizaines de milliers de personnes, arrêtées en raison de leurs amitiés, ou d’un don à un organisme de charité, un compte dans une banque güléniste…
Ils fument sans relâche dans la voiture, sans ouvrir les fenêtres. J’étouffe à l’intérieur. L’un d’eux fume un tabac particulièrement âpre. À chaque fois que je le peux, je cherche l’horloge sur le tableau de bord à l’avant, plisse les yeux pour lire, veux garder un contact avec le temps. Je regarde aussi les panneaux d’autoroute, trouve des moyens mnémotechniques pour retenir les lieux sur les panneaux autoroutiers. Vers 18 heures, on quitte l’autoroute. Aux alentours de Bulvari, la voiture se gare, ils m’enlèvent les menottes. On entre dans un restaurant, tenu par un ami de l’homme à moustache. Il me tient par le bras comme s’il m’exhibait. Il commande des chorbas, téléphone, un cousin à lui vient nous rejoindre, ils s’embrassent, il lui glisse quelque chose à l’oreille, le cousin fait une mimique impressionnée. Visiblement, il sait avant moi ce qu’on me reproche… Je détourne le regard, ne m’intéresse plus à eux. Ils ont commandé une chorba pour moi aussi. Je commence par la snober, puis me dis que c’est idiot, qu’il faut que je prenne des forces. Je l’avale avec une cuillère, croque dans un piment, attends la suite, en m’efforçant de ne jamais marquer d’impatience, de lassitude. Dans ma tête, j’essaye de récapituler, analyser la situation, imaginer les possibilités… Je me dis aussi que depuis que la voiture a quitté Gaziantep dans la nuit, les autorités françaises ont peut-être perdu mon contact. De fait, jusqu’à dimanche soir, on leur garantira que je suis à Gaziantep. Je reste le plus impassible possible. Je retiens leurs prénoms. « Musafet » pour le gros barbu, « Madjani » pour le gros moustachu qui, en quittant le resto, glisse sa main dans la pochette où se trouve mon argent, pour régler son repas…
On repart, le van de nouveau file dans la nuit, et soudain je pense que j’ai dans mon sac, dans une pochette, la carte sur laquelle j’ai décroché la mini-carte à puce de mon téléphone turc. Dessus, je suis à peu près certain qu’il y a mon code PIN. J’en ai une vraie suée. Le gros Musafet ronfle à présent sur la deuxième banquette. J’en profite pour ouvrir lentement mon sac, sur la banquette à côté de moi, en calant les glissements sur ses ronflements. À tâtons, je trouve la carte, la glisse dans mon slip, referme. Quelques kilomètres plus loin, je demande : « Toilets ! » Le chauffeur s’arrête à la station suivante, ils m’accompagnent. Je me vois dans un reflet, c’est dingue comme les menottes font le bandit. Je dois laisser la porte ouverte, je sens par-dessus mon épaule Madjani qui me surveille dans un miroir. Je sors la carte, la laisse tomber, tire la chasse. On s’arrêtera encore une fois, pour qu’ils boivent un thé. Pendant ce temps, sur le parking, en pleine nuit, un jeune homme lave la voiture. Il gagne sa vie ainsi. On ressort, les essuie-glaces sont relevés, c’est une façon de signifier que la voiture a été nettoyée. Madjani lui dit d’un ton sec de venir remettre les essuie-glaces. Puis ils montent, démarrent, et partent en rigolant devant le garçon immobile. Son regard me glace.
Au milieu de la nuit, on quitte la route d’Ankara, je comprends que l’on file sans doute vers Istanbul. Je ne sais pas pourquoi, cela me rassure. Le fait d’aller plus près de l’Europe ? De regagner une ville que j’aime ? Ou de ne pas aller à Ankara, où j’ai recueilli des témoignages de nombreux mauvais traitements dans les postes de police ?
Vers 5 heures dimanche matin, nous sortons de l’autoroute. Cela fait douze heures que nous roulons, ils ne m’ont enlevé mes menottes qu’une seule fois, pour entrer dans le restaurant. Puis Musafet les a bien serrées, j’ai eu le sentiment qu’il le faisait exprès. Pas habitué, j’ai mal présenté mes poignets, du coup, ils sont légèrement tordus, ça me fait un peu mal quand j’essaie de dormir. Deux voitures avec gyrophare nous attendent. Dans ces circonstances, on interprète tout. Je me dis que ce n’est pas bon signe. Elles nous guident vers un nouveau centre de rétention, assez petit, à Körfez, d’après les panneaux d’indication, à 90 kilomètres d’Istanbul.
Le jour va bientôt se lever, on est dimanche matin, cela fera dans quelques heures deux jours que l’on m’a arrêté, je ne sais toujours rien des raisons, ni de ce qui m’attend. On me fait asseoir sur une chaise dans l’entrée, on vide de nouveau mon sac. Le patron du centre s’engueule avec les deux policiers en civil, je ne comprends pas pourquoi, on m’évacue dans un bureau à côté, la porte est ouverte, je regarde la fouille de mon sac, surveille. Le chef du centre m’aboie dessus en turc, je réponds en français que je ne parle pas turc, il hurle, me montre le mur opposé, j’ai parfaitement compris qu’il veut que je détourne le regard, je répète que je ne comprends pas, il claque la porte. Quand un de ses collègues la rouvre, un peu plus tard, les deux flics en civil sont repartis. Et les clés des menottes, toujours accrochées à mes poignets, aussi, avec Musafet. Les agents s’affairent, essaient toutes les clés du centre, font venir un policier qui essaie un trousseau, et finit par trouver une clé libérant mes poignets. L’épisode me réjouit.
Je demande de nouveau à passer aux toilettes. Dans un miroir, je croise mon visage, j’ai l’air d’un malfrat, je pue aussi, j’ai fait douze heures de route dans une voiture surchauffée. On m’entraîne vers le sous-sol, dans une pièce rectangulaire, environ 10 mètres carrés, qui ne contient qu’un matelas au sol, avec au-dessus quatre néons, comme un éclairage de bloc hospitalier. Le lit est fait, c’est propre, avec des vêtements posés dessus, une serviette. Paradoxalement, cela crée chez moi un malaise, quelque chose de trop propre, de chirurgical. On me demande de me déshabiller entièrement et d’enfiler le caleçon, le pantalon de survêtement, et le marcel kaki de l’armée turque. Puis la porte se referme. Je m’allonge. Je n’ai plus de livre, plus aucun objet. J’ai essayé de glisser dans la poche de mon survêtement quelques minuscules bonbons à l’anis piochés dans une poche de mon pantalon, parce que cela devenait le seul objet intime possible. Un agent m’a vu faire, a jeté les petites boules à terre.
Nous avons besoin de contrôler si vous n’avez pas fait de photos ennuyeuses de la Turquie. Vous allez me donner les codes de vos téléphones, ou les ouvrir, on vérifie cela et ce soir vous êtes chez vous.
Je reste immobile un moment sur le matelas, il y a une caméra ronde, je ne veux pas marquer d’impatience, d’angoisse. Mais je pense en permanence à mes téléphones, à mon ordinateur, à mes contacts. Je reste là des heures, puis la porte s’ouvre, un homme entre, il est charmant. « Hello mister Olivier ! » Il est cordial, visiblement intelligent, parle couramment anglais, me demande si tout va bien, si j’ai été bien traité. Je lui demande qui il est, où je suis, dit que je veux contacter mon ambassade. Il me dit plus tard, on a quarante-huit heures. Je lui réponds que cela fait plus de quarante-huit heures que j’ai été arrêté. Il rétorque que, pour lui, cela commence avec mon arrivée ici, ne veut pas me dire qui il est. Puis il ajoute : « Écoutez M. Olivier, nous avons besoin de contrôler si vous n’avez pas fait de photos ennuyeuses de la Turquie. Vous allez me donner les codes de vos téléphones, ou les ouvrir, on vérifie cela et ce soir vous êtes chez vous. » Je lui réponds qu’il n’y a pas de photos compromettantes, et que je ne donnerai jamais les codes de mes téléphones. Alors il change légèrement de ton, sans paraître menaçant, et me dit que dans ce cas il va falloir les envoyer « au laboratoire de police criminelle » et que je vais rester en Turquie tout le temps de l’enquête, que cela peut durer des mois. Je hausse les épaules : « C’est illégal, vous le savez. Je ne donnerai pas les codes, je veux appeler le consulat. » En trois jours, à part le contact avec l’ambassade juste avant de partir en rétention, puis un coup de fil du représentant local de Reporters sans frontières dans la voiture, je n’aurai jamais de lien avec qui que ce soit en France.
La porte se referme, le temps s’écoule lentement, on n’entend plus de muezzin, je sens le moral qui flanche, décide d’y remédier. D’abord, je m’allonge sur le sol et fais des abdos, en marcel, la scène me fait rigoler. Puis je m’efforce de redérouler tout ce qui s’est passé depuis l’arrestation, en retrouvant les lieux, les heures. J’ai besoin de penser au travail, de me projeter, de me dire que je prépare un papier. Je compte aussi dans ma tête en iranien, comme me l’a appris Emad, jusqu’à six. On m’apporte un repas, du pain mou, du riz, de la viande en sauce. Je n’ai pas envie de manger, me force à avaler le riz et à mâcher le pain. N’avoir aucune nouvelle, ne pas connaître la suite, me pèse. Mes téléphones, mes codes et mes contacts sont devenus une obsession. Et puis soudain, on vient me chercher. On me donne mon sac, il faut que je remette mes habits. J’en profite pour voler le marcel kaki de l’armée. Je remonte à l’étage, ça grouille de monde, les agents semblent préoccupés, plusieurs sont prévenants. Je sens que le climat a changé. J’apprendrai seulement plus tard, à mon retour en France, les pressions de l’ambassade, qui s’efforçait tout le week-end de ne pas perdre la trace, pour demander mon départ sans vexer les autorités.
Une dernière fois, l’homme qui parle anglais me demande mes codes, puis me dit que je vais regagner la France mais qu’ils vont garder téléphones et ordinateur. Il me demande mon adresse : « Promis, nous vous les renverrons. » Je ne veux pas les laisser derrière moi. Peut-être veut-il sauver la face car, lorsque je lui propose d’écraser moi-même toutes mes photos devant lui, il accepte. Je me cache pour faire le code d’un premier téléphone, le moins ennuyeux, j’efface tout, le doigt prêt à éteindre l’appareil si quelqu’un essaie de le prendre. Puis je fais pareil avec le second, et avec l’ordinateur. Quelque 4 000 photos écrasées. Mais je repars avec tous mes appareils. Sur le seuil du centre, je demande une dernière fois à l’homme qui parle anglais pourquoi tout cela, ce qu’on me reproche. Il répond : « Sorry if we make a mistake. »
Une camionnette est là, deux nouveaux hommes en civil. Je ne sais pas si on part pour l’aéroport ou ailleurs. Je ne veux pas de faux espoir. Depuis un moment, je me suis préparé à rester longtemps en Turquie, pour ne pas prendre de coups au moral. Mais on rejoint Istanbul, on traverse le Bosphore, on prend la route de l’aéroport Atatürk. Je reconnais des endroits que j’aime. On repasse par un hôpital, une infirmière vient jusqu’à la camionnette me demander : « No problem on your body ? » Et on me conduit au centre de rétention de l’aéroport. Je reste deux heures dans une cellule, puis une voiture vient me chercher, traverse le tarmac, m’amène à un escalier menant au couloir articulé qui relie l’aéroport à un avion de Turkish Airlines. On patiente devant la porte de l’avion, des employés font le ménage. Les policiers me disent que mes affaires vont être mises en soute, avec mes téléphones (je ne me rendrai compte qu’en France qu’ils ne m’ont pas rendu ma carte de presse, symbole guère étonnant). Je n’ai pas le droit d’appeler avant d’être en France. Je ne peux garder que mon livre. Les passagers arrivent dans le couloir, deux policiers les empêchent d’approcher, sept autres sont autour de moi. Puis finalement on leur dit d’entrer dans l’appareil, et un policier me fait signe de les suivre, ils remontent la file, on repart vers l’aérogare. Je ne bronche pas, mais ce moment-là a été pénible. Fausse inquiétude, ils veulent seulement faire une dernière palpation (j’aurai été fouillé, je crois, six fois en tout), parce que je n’ai pas passé les portiques de sécurité.
Finalement, ils me laissent entrer seul dans l’avion, les passagers me regardent curieusement. Je demande immédiatement au premier passager français s’il peut me prêter son téléphone, pour prévenir. Je découvre alors que les proches, les collègues, savent déjà que je rentre. Ouf. Qu’il y a une mobilisation en France. Je suis resté trois jours sans une nouvelle. J’ai soudain mal au dos dans l’avion. J’ai hâte qu’il décolle, ne serai pas tranquille avant. L’homme qui m’a prêté son téléphone, cadre d’une grande multinationale, me demande pourquoi on m’expulse, je lui explique, il me dit que tous ses interlocuteurs turcs sont de plus en plus inquiets, songent à quitter leur pays.
Enfin l’avion prend son envol, il est 20 h 15, je décolle. Je souffle. Je suis rassuré mais une vague de tristesse me prend. Par le hublot, je vois cette ville que j’aime, où j’aime travailler, ce pays qui me passionne, qui m’inquiète. Je sais qu’il va peut-être être difficile d’y retourner avant un moment. Je sais, surtout, que ce qui vient de m’arriver, ces trois jours désagréables, n’est rien à côté de ce que vivent en ce moment des dizaines de milliers de Turcs. Je pense aussi en regardant les lumières à Emad, à Madani, tankés dans le centre de rétention de Gaziantep. Je pense à l’état de ce pays. Aux récits de torture recueillis. À la terrible bascule de la Turquie. Que nous allons continuer de raconter…