Voilà le monde de la musique de retour à son point de départ quitté il y a plus d’un an, épuisé et divisé comme rarement. Ce mercredi, le gouvernement a finalement tranché en faveur d’une taxe sur les acteurs de la musique en ligne pour financer, à hauteur de 15 millions d’euros environ, le Centre national de la musique. Un organisme lancé au début du Covid sans moyens pérennes alors qu’il doit distribuer des aides à la production et à la diffusion, en faveur de la diversité musicale. C’était la piste recommandée par un rapport parlementaire rendu avant l’été et celle qu’Emmanuel Macron lui-même avait retenue lors d’une allocution le 21 juin dernier, avant qu’elle soit votée par le Sénat fin novembre dans le cadre du projet de loi de finances 2024. Dans le même temps, les opposants à cette piste fiscale (les plateformes de streaming et les majors du disque, principalement) s’activaient pour faire émerger une autre piste, celle d’une contribution volontaire encadrée et régulièrement renégociée (lire l’épisode 14, « “On n’a jamais vu un financement d’un établissement public par l’aumône” »). Leur objectif, c’était d’éviter à tout prix une taxe qui pourrait donner des idées à d’autres pays.
Ce mercredi après-midi, le camp de la contribution a ainsi tenté de marquer le panier décisif en dégainant un communiqué triomphaliste qui annonçait « un accord exceptionnel qui réunit quasiment l’intégralité de la filière »
Le ministère de la Culture a donc fini par trancher, à la surprise de tout le monde, dans un rare communiqué adressé à l’AFP en fin de journée, annonçant son choix en faveur d’une taxe streaming. Ceci après validation d’un texte sur le sujet en commission des finances de l’Assemblée nationale qui a
Pour Aurélie Hannedouche, c’est « la fin d’un long processus. Désormais, tous les bénéficiaires des aides du CNM participent à son financement. C’est une étape franchie, mais je le dis sans triomphalisme. Maintenant, il faut qu’on travaille ensemble ». Pour tenter de réparer les fissures laissés par les longs mois de réunions à répétition, les attaques personnelles et les stratégies de communication parfois délétères (lire l’épisode 13, « Budget du Centre national de la musique : le stream est passionnel »). Une partie du camp antitaxe est ainsi allé jusqu’à mener une campagne de désinformation toxique auprès d’artistes et médias hip-hop, en leur expliquant qu’elle serait une « taxe antirap » au profit des musiques qui le méprisent. Un strict mensonge, alors que le rap est soutenu comme toutes les musiques par les aides à la production et à la diffusion du CNM.
Spotify, leader du marché et très engagé dans les négociations, a refusé de répondre à nos questions pour cet article, nous renvoyant à un entretien donné ce jeudi matin à France Info par Antoine Monin, son directeur général pour la France et le Benelux. Pour lui, cette taxe est « une monumentale erreur stratégique qui va à l’encontre des enjeux de souveraineté économique, culturelle et technologique européenne ». Et de rappeler que Spotify a dégagé ses premiers bénéfices seulement au dernier trimestre et reste « dans un équilibre financier fragile », tandis que Deezer a beaucoup réduit ses ambitions internationales ces dernières années. Pour Ludovic Pouilly, « cette taxe est un désastre » pour la plateforme française. « C’est une taxe bête et méchante qui va impacter avant tout ceux qui ont un gros chiffre d’affaires en France, Deezer et Spotify. » Pour Antoine Monin, cette taxe streaming va ainsi pénaliser en premier lieu les « plateformes européennes » dont le seul business est la mise à disposition de musique alors qu’Apple (qui vend des téléphones), YouTube (qui vend nos données à la publicité) et Amazon (qui veut tout nous vendre) se servent de la musique comme d’un produit d’appel. C’est une réalité du secteur, où les pure players sont aujourd’hui fragilisés face aux géants omnipotents du numérique, mais c’est aussi réduire Spotify à une petite chose moribonde alors que son premier actionnaire est le géant chinois Tencent. De même, Deezer est aujourd’hui financé par des fonds saoudiens et le milliardaire russo-britannique Len Blavatnik.
Spotify désinvestira la France et investira sur d’autres marchés. La France n’encourage pas l’innovation et l’investissement.
Cette taxe se fera, pour Ludovic Pouilly, « au détriment du développement du marché en France alors qu’il est déjà très en retard dans la pénétration du streaming en comparaison avec d’autres pays. On est vraiment dans l’atteinte à la souveraineté numérique pour protéger la souveraineté culturelle. » Dans son intervention sur France Info, Antoine Monin estime aussi que, face à cette taxe streaming imposée au secteur, « Spotify désinvestira la France et investira sur d’autres marchés. La France n’encourage pas l’innovation et l’investissement ». Selon lui, qui avait déjà mis la fermeture du bureau parisien de la plateforme sur la table lors des négociations, « la France ne sera plus une priorité pour Spotify ». Début décembre, l’entreprise a déjà menacé de se retirer d’un pays, l’Uruguay, pour protester contre une réforme portant sur la rémunération des artistes, mais le pays sud-américain
Au SMA, Aurélie Hannedouche a pour sa part pleinement conscience que tout le monde a à perdre à entretenir les crispations. Et de rappeler que l’autre syndicat de labels indépendants, l’UPFI (Union des producteurs phonographiques français indépendants), a proposé de « discuter avec les plateformes d’une répercussion partagée de la taxe streaming ». Une discussion qui doit encore débuter. Ce sera le programme de l’année 2024, où le secteur très peu solidaire de la musique va devoir apprendre à travailler ensemble dans sa maison commune désormais pérennisée. La taxe streaming ne sera pas opérationnelle tout de suite, elle doit encore être validée à Bruxelles puis donner ses premiers rendements. D’ici là, le gouvernement a déjà informé le secteur que l’État assurera un pont budgétaire de 15 millions d’euros nécessaire au fonctionnement du CNM.