Sous un grand soleil de printemps, à deux pas de la place de la Bourse, à Paris, les chauffeurs de la première ligne de la Marche pour une vraie loi climat, mobilisation nationale à laquelle ont appelé plus de 600 organisations, entament au micro People Have the Power, de Patti Smith, avec accompagnement à la guitare électrique. Derrière la grande banderole, « Pour une vraie loi climat, stop au blabla », en tête de cortège, des représentants de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) avancent d’un pas tranquille mais ferme. À partir de lundi, la loi « climat et résilience », promise par le président de la République à l’issue de leurs travaux et d’ores et déjà jugée comme une trahison tant son ambition semble maigre aux yeux de nombreux acteurs, sera aux mains des parlementaires. Ces 45 heures de débats, prévus sur douze jours, pourraient devenir le scénario d’un film catastrophe que Les Jours vont visionner de bout en bout. « Moi, j’y ai cru tout le temps, à chaque fois que le Président venait nous parler, j’étais à fond. On s’est fait avoir », lâche Agnès Catoire, 43 ans, ancienne gestionnaire de paye licenciée économique pendant la crise sanitaire, qui faisait partie du groupe « consommer » de la CCC. « Il y a les régionales, les députés vont vouloir rassurer leurs électeurs, alors qu’on leur demande du courage politique pour prendre la défense de l’intérêt général », s’inquiète Mathieu Sanchez, fonctionnaire qui faisait partie du groupe « se déplacer ». La légion de pancartes brandies derrière son dos par les milliers de personnes qui manifestent ne disent pas autre chose. Du circonstancié « Il n’y a pas de vaccin pour climat », au radical « Recyclons la loi climat », en passant par « Rejoins le côté vert de la Force », qu’on imagine adressé aux représentants de la nation.
Rembobinons donc à la manière du générique déroulant du premier épisode de Star Wars (vous pouvez fredonner, mais ça reste dans la tête), « …un nouvel espoir. C’est une époque de guerre civile. À bord de vaisseaux spatiaux opérant à partir d’une base cachée, les rebelles ont remporté leur première victoire sur le maléfique Empire galactique »... Donc, dans l’Hexagone, des citoyens, revêtus de simples gilets de sécurité, équipement obligatoire dans une automobile, occupent, à partir d’octobre 2018, des ronds-points et manifestent chaque samedi dans plusieurs villes du pays. Au fil des mois, ils sont réprimés violemment. Pour que la rébellion ne devienne pas une révolution, Emmanuel Macron, le chef du pays, qui a voulu augmenter une taxe carbone, ce qui est bon pour la planète mais moins pour le portefeuille des automobilistes, fait ouvrir, en janvier 2019, des cahiers de doléances dans les mairies de toute la contrée et annonce un « grand débat national » qu’il lance lui-même à Grand Bourgtheroulde, dans l’Eure. Les Français peuvent se plaindre et livrer leurs espoirs en matière de transition écologique, fiscalité, démocratie et services publics. Le Président écrit une lettre. Son intention est claire : « C’est ainsi que j’entends transformer avec vous les colères en solutions. »
En avril 2019, au milieu d’une fort longue conférence de presse qui fait le bilan des courses, il annonce la création d’une assemblée de citoyens tirés au sort pour s’attaquer à la transition « la plus urgente, la plus impérieuse », la transition écologique bien sûr. À l’époque, c’est encore modeste, il s’agit de « redessiner toutes les mesures concrètes d’aides aux citoyens sur la transition climatique ». Et le chef du pays qui aime bien les paris
Il faut dire que l’année planétaire 2020 ne l’aide pas, le Président. Dès la Saint-Sylvestre, les écrans ont été saturés de koalas carbonisés, fuyant les feux de forêts dantesques qui ont ravagé l’Australie pendant des mois (lire l’épisode 1 de La fin du monde, saison 2, « L’Australie, à mégafeu et à sang »). Puis les ouragans se sont montrés si nombreux sur l’Atlantique que l’ONU, qui les baptise, s’est retrouvé à cours de prénoms et a dû avoir recours à l’alphabet grec. Une pandémie mondiale, liée à la pression humaine sur les milieux naturels dont écologues et épidémiologistes avaient prévu le scénario de longue date (lire l’épisode 4 de La fin du monde, saison 2, « Coronavirus : un battement d’aile de chauve-souris… »), a fait près de 2,8 millions de morts et mis l’économie mondiale à l’arrêt. Et comme par hasard, l’année 2020 a rejoint 2016 sur le podium des années les plus chaudes dans le monde depuis qu’on enregistre la température (1850), la plus chaude en France depuis 1900. En février dernier, Météo France en rajoutait une louche en publiant ses nouvelles projections, écarlates, prévoyant un +3,9 °C et des canicules longues de un à deux mois en 2100
C’est dans ce brûlant paysage que Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, a présenté le 10 février, en Conseil des ministres, le projet de loi issu des travaux des « conventionnels », juste après avoir déclaré sur France Inter : « Ce que je veux, c’est que cette loi soit une loi d’espoir, qui aide tout le monde. » Puis, en sortant dudit Conseil des ministres : « Il s’agit de changer de civilisation, de culture, de modes de vie. » Et de dévoiler un « texte de ruptures » : coup d’arrêt à l’étalement urbain, fin des locations des passoires énergétiques, fini les avions pour les réunions à Bordeaux, des étiquettes indiquant l’impact carbone des produits au supermarché, des menus végétariens à la cantines, moins de pub pour les produits les plus polluants et plus de voitures du même acabit en 2030, entre autres.
Malgré ce menu décoiffant, il faut rester sur terre. Sur les 149 propositions, trois ont déjà été écartées par le Président lui-même. Le ministère précise que sur les 146 restantes, un cinquième ont déjà été traduites dans le plan de relance qui a mis 30 milliards d’euros sur la table pour la transition écologique, un dixième sont de nature réglementaire et seront mises en œuvre par décret, 5 % relèvent de négociations européennes ou internationales, une sur quatre dépendent d’une agence de l’État ou des préfets. Bon, il en reste tout de même 40 % pour la loi dite « climat et résilience ». Ce seront 69 articles en six chapitres, « consommer », « produire et travailler », « se déplacer », « se loger », « se nourrir », « renforcer la protection judiciaire de l’environnement ». On ne change pas un Quinté+ gagnant.
Les chevaux de course sont-ils assez véloces pour atteindre à temps la ligne d’arrivée
Il y a moyen de les doper. Car le 8 mars, le projet de loi arrive pour la première fois à l’Assemblée nationale, en commission spéciale. Il va être examiné sous toutes ses coutures et amendé par 71 parlementaires, sous la houlette de la présidente, la députée LREM Laurence Maillart-Méhaignerie qui mène la troupe au pas de course, pendant douze jours. Plus de 5 000 amendements ont été déposés par des députés de tous bords
Et il n’y a pas que les ONG qui trépignent. En commission, on a vu les élus de l’aile gauche, au premier rang desquels Delphine Batho et Matthieu Orphelin, tous deux non-inscrits et appartenant au collectif Écologie démocratie solidarité, ferrailler sur chaque amendement. Ils savent que leur temps est compté. L’examen de la loi dans l’Hémicycle doit se faire en procédure accélérée. Le temps législatif programmé a été fixé à 45 heures.
On attend que les députés se rebiffent et donnent la possibilité à cette loi d’être à la hauteur parce que là, il faut arrêter les carabistouilles.
Puisque le micro sera vite coupé, il s’agit donc de faire du bruit dès que possible. Mardi dernier, les deux croisés écolos ripostaient ainsi par le dépôt d’une proposition de loi « pour une vraie loi climat » comprenant dix-sept articles dont ils chiffrent les effets à 50 millions de tonnes de CO2 évitées par an en 2030 (à consulter ici en pdf). « Pour ne pas que l’énorme boulot fourni par la Convention citoyenne pour le climat parte à la poubelle », expliquait Matthieu Orphelin aux Jours quelques heures plus tard. Pendant les questions au gouvernement de ce mardi-là, le député ne s’est d’ailleurs pas privé. « Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous dire combien de tonnes de CO2 vont être évitées grâce à votre loi “climat et résilience” ? » Avant qu’Emmanuelle Wargon, ministre chargée du Logement, ne se colle à une réponse floue, on entend, venant du bas de l’Hémicycle, un net « Ah, le fourbe ! », lancé avec une pointe d’accent méridional que Matthieu Orphelin attribue à Jean Castex. « Mais qu’est-ce que j’ai demandé ? J’ai demandé une évaluation climatique de la loi climat ! On est dans la quatrième dimension !, soupire Orphelin, à moitié goguenard. De toute façon, on les insupporte. » Et vice-versa. Pour les manifestants de ce dimanche aussi, la coupe est pleine. Pas une miette de la bataille de la plénière ne leur échappera. « On attend que les députés se rebiffent et donnent la possibilité à cette loi d’être à la hauteur parce que là, il faut arrêter les carabistouilles, expliquait Cyril Dion, garant de la Convention citoyenne pour le climat, il y a quelques jours. Tout ce qui sera gagné le sera. Pour l’instant on combat, on comptera les points après. » Durée du match : 45 heures chrono.