Comme l’a un jour écrit l’auteur et acteur Adrien Ménielle : « Les comparaisons c’est comme le gouda : je sais pas très bien les faire et l’autre c’est une sorte de fromage. » C’est un peu ce que l’on s’est dit à la lecture de celle-ci, extraite d’un récent rapport du Forum économique mondial sur les déchets électroniques : « Chaque année, près de 50 millions de tonnes de déchets électroniques et électriques sont produits, soit l’équivalent en poids de tous les avions de ligne jamais produits. » Vous n’avez pas moins parlant, comme chiffre ? « Et si rien n’est fait, la quantité de déchets fera plus que doubler d’ici à 2050, jusqu’à atteindre 120 millions de tonnes par an. » Décidément, ces gens ne savent pas faire peur comme il faut.
On pourrait plutôt d’abord rappeler que ces ordinateurs, portables, enceintes connectées, réfrigérateurs, tablettes, télés, appareils photo, câbles en tout genre sont une calamité. Tous ou presque ont besoin de métaux dont les stocks mondiaux ne sont pas extensibles (dont les fameuses terres rares). Sortir ces minerais du sous-sol est par ailleurs une activité dangereuse, quand ce n’est pas criminelle : l’exploitation et le trafic autour du coltan sont ainsi soupçonnés d’avoir alimenté la guerre en République démocratique du Congo.
À l’arrivée, seuls 20 % des déchets électriques et électroniques sont recyclés dans le monde, explique l’étude du Forum économique mondial. Le reste ? Enterré (et tant pis pour les substances toxiques)… ou brûlé (et tant pis pour les émissions de gaz à effet de serre).
On ne pensait pas reparler de mines au Brésil aussi tôt. Mais la catastrophe de Brumadinho, dans l’État du Minas Gerais, dans le sud-est du pays, oblige à pointer une nouvelle fois un doigt accusateur sur l’« extractivisme ». Ce vendredi, une gigantesque coulée de boue, provoquée par la rupture d’une retenue de boues toxiques, a tout emporté sur son passage et le dernier bilan fait état de 110 morts et 238 disparus. Le fleuve Paraopeba, source d’eau pour les membres d’une communauté autochtone voisine, est bien évidemment pollué ; la biodiversité affectée. Rappelons aussi que l’activité minière a un impact sur le changement climatique, via la déforestation.
À l’origine du drame, une mine de fer d’où on extrait le minerai avec de l’eau… et dont les résidus liquides sont conservés dans des barrages avant, en théorie, d’être traités. Il y a trois ans, la rupture d’une autre retenue minière avait tué 19 personnes à Bento Rodrigues, également dans le Minas Gerais. Dans les deux cas, on retrouve le même propriétaire, la multinationale brésilienne Vale, et les mêmes manquements autour des contrôles sur ces infrastructures.
Et le gouvernement fédéral ? Il n’a « rien à voir » avec ce qui est un « problème de l’entreprise », selon Jair Bolsonaro, le nouveau président brésilien, partisan forcené d’un assouplissement du droit environnemental. Désespérant
Et si on mourait tous à cause d’une vague de froid, comme dans Le Jour d’après de Roland Emmerich ? À Paris, au vu des quelques centimètres de bouillasse de ce mercredi matin, c’est plutôt le journaliste des Jours auteur la veille de cette punchline qui a visé juste : « Moi, j’y crois pas trop à cette neige… » Certes, mais à Chicago ? Quiconque a déjà vu les images suivantes le sait : ses habitants subissent régulièrement des tempêtes de neige.
Depuis deux jours, on y tremble : « Il fera plus froid à Chicago qu’en Antarctique cette semaine », a même écrit le site de CNN. Ce qui est doublement problématique : d’abord parce que l’article ne parle pas une seule fois de l’Antarctique ; ensuite parce que ça ne veut rien dire. L’Antarctique n’est pas une ville, que diable, c’est un continent… Les températures y sont souvent plus chaudes près des côtes, plus froides près du pôle Sud. Et en ce moment, c’est l’été : on bronze sur la base antarctique Davis, qui affichera ce mercredi jusqu’à 5°C. Bref, oui, il fait plus froid à Chicago (autour de -30°C) que dans certaines parties de l’Antarctique aujourd’hui… Et après ?
Après, ça nous vaut évidemment le running gag tordant de grandpa Donald, toujours prêt à confondre météo et climat : « Que se passe-t-il avec le réchauffement ? Reviens vite, on a besoin de toi. » Et s’il était déjà là ? La vague de froid aux États-Unis est due au « vortex polaire », un tourbillon d’air froid venu de l’Arctique. Et selon certains climatologues – pas tous, loin de là, il y a controverse –, le phénomène pourrait avoir un lien avec… le changement climatique. Pour en savoir plus, je ne saurai trop vous conseiller cet article de Terra eco de 2014, signé Karine Le Loët : attention, on y croise déjà un certain milliardaire américain climatosceptique !
En 1996, le groupe de rock Eels (« Anguilles ») demandait : « Est-ce que mon nom est sur la liste ? » Plutôt deux fois qu’une. Anguilla anguilla, l’anguille d’Europe est officiellement en « danger critique d’extinction », selon la classification de l’Union internationale pour la conservation de la nature. On parle d’un effondrement de 90 % du stock par rapport au début des années 1980. Pour comprendre pourquoi, remontons le fil (fil, anguilles… vous l’avez ?).
Cette grande voyageuse parcourt des milliers de kilomètres entre sa naissance dans la mer des Sargasses, près des Bermudes, les rivières européennes une fois adulte et, enfin, l’océan Atlantique à nouveau, pour y frayer et mourir. En chemin, les obstacles ne manquent pas : pollutions diverses, surpêche et surtout fragmentation des écosystèmes. Les barrages sur les rivières se font de plus en plus nombreux, de plus en plus élevés, les zones humides disparaissent, l’artificialisation des sols progresse. Bref, rien qui ne favorise l’anguille, pourtant si douée pour passer de la mer au fleuve, du fleuve au marais…
Mais, selon les scientifiques, tous ces soucis n’expliquent pas complètement leur déclin. Et si le changement climatique y était pour quelque chose ? Bingo, a répondu (pas tout à fait comme ça, d’accord) une équipe de l’université de Lisbonne. Dans leur étude publiée ce mercredi dans la revue Biology Letters, les chercheurs expliquent avoir placé en labo des larves d’anguille dans les conditions prévues pour la fin du siècle : une eau plus acide et plus chaude de 4 degrés. Résultats : l’acidité refroidit les ardeurs migratoires des bestioles… et la chaleur les tue !
En 2000, Eels chantait : « La cheminée crache de la suie dans le ciel ensoleillé (…) Bordel de Dieu, quelle belle journée. » On ne saurait mieux dire.
Un homme meurt (d’une attaque), puis des milliards (d’une grippe foudroyante). Dans Station Eleven, la Canadienne Emily St. John Mandel ne perd pas de temps pour nous plonger, délicatement mais sûrement, la tête dans le seau. S’ensuivent des allers-retours entre la période actuelle et l’An 20 après le cataclysme. Parmi ceux qui ont survécu – 1 % de la population –, les membres de la Symphonie Itinérante, une troupe de comédiens et de musiciens, dans la région des Grands Lacs. Grâce à Shakespeare, aux comics, aux instruments de musique, à Star Trek, un fil subsiste entre l’avant et l’après : c’est l’art. Mais évidemment, tout a changé.
Extrait :
« Plus de plongeons dans des piscines d’eau chlorée éclairées en vert par en dessous. Plus de matchs de base-ball disputés à la lumière des projecteurs. Plus de luminaires extérieurs, sur les vérandas, attirant les papillons de nuit les soirs d’été. Plus de trains filant à toute allure sous la surface des métropoles, mus par la puissance impressionnante du troisième rail. Plus de villes. Plus de films, sauf rarement, sauf avec un générateur noyant la moitié des dialogues – et encore, seulement les tout premiers temps, jusqu’à ce que le fuel pour les générateurs s’épuise, parce que l’essence pour voitures s’évente au bout de deux ou trois ans. Le carburant d’aviation dure plus longtemps, mais c’était difficile de s’en procurer.
Plus d’écrans qui brillent dans la semi-obscurité lorsque des spectateurs lèvent leurs portables au-dessus de la foule pour photographier des groupes en concert. Plus de scènes éclairées par des halogènes couleur bonbon, plus d’électro, de punk, de guitares électriques.
Plus de produits pharmaceutiques. Plus aucune garantie de survivre à une égratignure à la main, à une morsure de chien, à une coupure qu’on s’est faite au doigt en éminçant des légumes pour le dîner.
Plus de transports aériens. Plus de villes entrevues du ciel à travers les hublots, scintillement de lumières ; plus moyen d’imaginer, neuf mille mètres plus bas, les vies éclairées en cet instant par lesdites lumières. Plus d’avions… Plus de pays, les frontières n’étant pas gardées…
Plus d’internet. Plus de réseaux sociaux, plus moyen de faire défiler sur l’écran les litanies de rêves, d’espoirs fiévreux, des photos de déjeuners, des appels à l’aide, des expressions de satisfaction, des mises à jour sur le statut des relations amoureuses grâce à des icônes en forme de cœur – brisé ou intact –, des projets de rendez-vous, des supplications, des plaintes, des désirs, des photos de bébés déguisés en ours ou en poivrons pour Halloween. Plus moyen de lire ni de commenter les récits de la vie d’autrui et de se sentir ainsi un peu moins seul chez soi. Plus d’avatars. »
Dystopie élégiaque et à suspense – comment les caravanes ont-elles pu soudain disparaître ? Qui est l’étrange prophète qui tient la ville de St Deborah by the water ? –, le roman se double d’une réflexion sur nos objets technologiques. Avec un humour parfois cruel, Emily St. John Mandel pointe leur vanité, leur inanité… mais, laissant de côté les considérations écologiques et la crise énergétique vécue par ses personnages, elle rappelle également leurs pouvoirs magiques. On s’étonne ainsi de s’émerveiller au décollage d’un dernier avion, rempli de passagers aventureux, qui vont tenter leur chance dans un ailleurs plein de dangers.
Car après tout, qu’y a-t-il de fascinant dans la fiction post-apocalyptique ? Sans doute la notion de recommencement, la quête de l’essence humaine. Le lecteur peut se réinventer en pionnier, en explorateur, en démiurge, en navigateur qui se lance sur l’eau sans savoir s’il y aura une île quelque part, en premier habitant de l’Île de Pâques ou de l’Islande. En créateur d’un nouveau monde, plus juste. Celui de Station Eleven est noir et plein d’espoir.
À lundi (si on tient jusque-là).