Les glaciers sont au cœur – fondant – du changement climatique, on l’a dit, redit et même reredit. Mais c’était loin, mon bon monsieur, au pôle Nord ou au pôle Sud ; eh bien là, ma bonne dame, c’est près de chez nous. On aurait pu évoquer la situation – pas jojo – du glacier Carré en Isère, dans le parc national des Écrins. Mais penchons-nous plutôt sur le cas de la Suisse. Le 13 février dernier, le New York Times consacrait un très beau long format à ses glaciers.
Ça n’étonnera personne, ils sont en recul. Celui de Trift occupait il y a quelques années encore une large vallée… désormais traversée par un pont suspendu de 150 mètres de long, à 90 mètres au-dessus du sol. Celui d’Aletsch, le plus long d’Europe avec ses 23 kilomètres, pourrait perdre 90 % de sa glace d’ici à 2100. Ce qui nous amène à ce paradoxe, étudié en détail par le quotidien américain : avec cette fonte accélérée, l’énergie hydraulique est en plein boom en Suisse, avec une hausse de 3 % à 4 % depuis 1980. Pas mal pour la « houille blanche », qui fournit déjà 60 % de l’électricité du pays.
Mais évidemment, tout cela est transitoire : le congélateur en plein dégivrage n’est pas un puits sans fond. Le barrage de Gebidem, au pied du glacier d’Aletsch, sera bientôt inutile. Alors les ingénieurs suisses ont trouvé une solution : bien au-dessus de la construction, la langue de glace est encore épaisse de 200 mètres, mais d’ici à 2050, elle se sera transformée en un lac. On pourrait donc installer une nouvelle centrale génératrice là où se trouve le barrage actuel.
Malin… et tellement déprimant, car on ne pourra pas remonter le glacier éternellement. L’ingéniosité humaine ressemble parfois à s’y méprendre à une immense fuite en avant.
Il y a Namu, Orca, De rouille et d’os… Pour le meilleur ou pour le pire, les orques sont des stars au cinéma. Mais ce qui leur arrive en ce moment ressemble à un mauvais film… ou à Sauvez Willy. Quand ce n’est pas la moitié de la population mondiale qui est menacée par la pollution, ce sont les spécimens de Norvège qui sont obligés de suivre les harengs toujours plus vers le nord. Mais leur situation dans la baie d’Hudson, au Canada, ressemble à un piège en haute mer (big up, Steven Seagal !).
Le magazine en ligne canadien Hakai racontait il y a quelques jours que des chasseurs inuits ont vu en 2016 quatre épaulards – l’autre nom des bestioles – s’aventurer dans le sud de la baie, une incongruité. D’ordinaire, les orques restent plutôt à l’abri en pleine mer à déguster bélugas et narvals. Mais, changement climatique oblige, la baie est entièrement gelée moins longtemps pendant l’année et proies et prédateurs s’y ébattent donc de plus en plus.
Souci pour les orques : quand les premières glaces arrivent, leur instinct, parfaitement adapté à la haute mer, leur commande de mettre le cap vers le sud et les eaux plus chaudes, explique le chercheur Steve Ferguson de l’université du Manitoba. Sauf que les deux seules sorties de la baie d’Hudson se trouvent au nord. La conclusion est évidente : les quatre orques aventureuses de 2016 sont mortes de faim. Au total, ces huit dernières années, plus de vingt ont ainsi été pris au piège de la glace et le phénomène pourrait bien s’accélérer.
«Au pire, la rupture environnementale pourrait déclencher une rupture catastrophique des systèmes humains, entraînant rapidement un effondrement incontrôlé dans lequel les chocs économiques, sociaux et politiques s’enchaîneraient au sein du système global. » Voilà un extrait d’une étude publiée le 12 février dernier par le think tank britannique IPPR (Institute for Public Policy Research), proche du parti travailliste. Et, histoire de préciser le scénario, les auteurs ajoutent qu’il ressemble « à ce qui s’est passé à la suite de la crise financière mondiale de 2007-2008 ».
Mais que signifie d’abord « rupture environnementale » ? Oh, presque rien : un savant mélange de changement climatique, d’acidification des océans, d’épuisement des terres, de cycles biogéochimiques perturbés… Y’en a un peu plus, on vous le met quand même, tututut, ça nous fait plaisir : extinction de la biodiversité, couche d’ozone fragilisée, pollutions… « Combinés, ces facteurs créent un nouveau “domaine de risque”, complexe et interconnecté », assure l’étude.
Pour quelles conséquences ? Là encore, des broutilles : instabilité financière généralisée, migrations forcées, guerres, famines… et éventuel effondrement global, donc.
Tout cela ne vous rappellerait-il pas quelque chose ? Oui, Comment tout peut s’effondrer (Le Seuil, 2015), l’ouvrage coécrit par Pablo Servigne et évoqué ici précédemment (lire l’épisode 1, « La fête est finie »). En somme, l’Institute for Public Policy Research réactualise – brièvement – cet essai : une quarantaine de pages, qui s’appuient sur quelques dizaines d’études scientifiques. À dire vrai, cette obsession ne parle pas d’autre chose non plus, mais elle ne peut rivaliser avec les schémas bariolés et plus ou moins limpides du think tank. Heureusement, il nous reste notre mascotte. Plutôt mourir que de l’abandonner.
En 1990, le grand poète allemand Klaus Meine chantait : « Le futur est dans l’air, je peux le sentir partout, soufflant avec le vent du changement. »
Aujourd’hui que nous sommes dans le futur, d’autres scorpions profitent d’un autre vent, celui du changement climatique. C’est particulièrement vrai au Brésil. Le nombre de personnes piquées par l’espèce endémique Tityus serrulatus est passé, d’après le ministère de la Santé, de 12 500 en 2000 à 124 000 en 2017, dont plus de 21 000 pour le seul État de São Paulo. Dans la mégalopole, c’est une invasion de bestioles jaunes de moins de 10 cm, racontait le 11 février le chercheur en politiques publiques Hamilton Coimbra Carvalho, sur le site The Conversation.
D’après lui, cette prolifération s’explique par une urbanisation trop rapide, un assainissement insuffisant, un ramassage des poubelles déficient et un climat changeant. De fait, les températures en constante hausse font des étés plus chauds, allongeant ainsi les périodes de reproduction… Comme si les scorpions femelles avaient besoin de ça, elles qui, deux fois par an, se reproduisent par parthénogenèse, c’est-à-dire sans intervention des mâles.
Mais Hamilton Coimbra Carvalho met aussi le doigt sur une situation particulière : São Paulo a beau être une ville gigantesque, il n’y a « pas d’écureuils, pas de ratons laveurs, pas même beaucoup d’oiseaux ». Or, on l’a vu précédemment (lire l’épisode 3, « Les fourmis bougent »), quand la biodiversité recule, les animaux restants sont plutôt belliqueux. Si la plupart des rencontres entre humains et Tityus serrulatus se terminent bien, « la piqûre du scorpion est très dangereuse pour les enfants de moins de 7 ans », rappelle l’arachnologue Rogério Bertani. En 2017, pas moins de 143 personnes sont mortes au Brésil à cause du scorpion. Difficile après ça de lui dire : « Je t’aime encore. »
Le collectif luzinterruptus (« lumière interrompue ») voit le mal partout… où il est. Depuis 2008, ces artistes et activistes espagnols anonymes disposent de petites diodes autonomes dans les nuits de Madrid, lors d’interventions furtives – parfois acides, parfois poétiques, toujours politiques.
Un jour, ils s’affichent en casseurs de pubs ; un autre, ils voient des policiers partout ; un autre encore, ils pointent la pudibonderie et le sexisme de Facebook avec des tétons revanchards. Leur démarche se veut également écolo, ainsi qu’ils l’expliquent aux Jours : « Nous marchons dans les rues de notre ville et nous voyons les poubelles qui débordent de résidus de tous types, pas seulement du plastique, mais aussi du papier, du carton, des vêtements et des déchets technologiques. La pollution et la sécheresse nous guettent. » Avant d’ajouter : « Tout cela nous conduira-t-il à la fin du monde ? Nous ne le croyons pas. »
Damned, luzinterruptus n’aurait-il pas sa place dans cette obsession ? Finalement si, car ils concluent ainsi : « Une guerre atomique nous détruira avant, à cause des intérêts mégalomanes de certains pays. » Tout est bien qui finit mal. Voici donc des images extraites de trois de leurs installations (parmi plusieurs dizaines).
L’atomique Sous la menace nucléaire :
La ludique La faune et la flore protégées :
Et l’angoissante et douce Émerger ?
Rendez-vous le 4 mars (si on tient jusque-là).