L’héritier

Après avoir mené la première partie de sa carrière aux États-Unis dans des filiales du groupe Lagardère, le fils unique de Jean-Luc Lagardère est de retour en France en 1999, débarquant avec l’image dorée sur tranche de l’héritier revenu d’Amérique pour en découdre. En 2003, à la mort de son père, il est seul aux commandes. C’est sous son règne que le groupe se dépoile totalement, lâche l’aéronautique, se recentre sur les médias, où chaque tentative est couronnée d’un échec : lancée avec moult flonflon, Match TV s’arrête bien vite, les 20 % que Lagardère détenait dans Canal+ sont vendus et des fleurons du groupe, tel le féminin Elle sont revendus. Le groupe ne vit aujourd’hui que de l’édition (Lagardère Publishing) et des boutiques d’aéroport (Lagardère Travel Retail), et survit à peine dans les médias avec Europe 1, Le JDD, Paris Match, RFM et Virgin Radio. Malheureux en affaires, Arnaud Lagardère, 59 ans et buveur invétéré de Coca Light, semble heureux en amour, qu’il étale tant et plus, de documentaire racontant sa vie intime avec son épouse Jade Foret en incessants posts Instagram de l’intéressée. Mais là encore, des ombres se dessinent au travers des publications énigmatiques de Jade Lagardère, laissant entendre que la vie en rose dans les Hamptons au volant du dernier coupé Mercedes jaune canari n’est pas si facile que ça.

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Celui que son fils n’appelle que « Jean-Luc » tient de la légende à la française, un peu OSS 117, un peu Michel Vaillant, un peu d’Artagnan seventies, un peu flambeur, un peu loser. Il fait de Matra (pour « Mécanique Aviation Traction ») un géant de l’aéronautique et de la défense, monte un club de foot (le Matra Racing à Paris, qui végète aujourd’hui sous son ancien nom de « Racing Club de France »), échoue à racheter TF1 privatisée, plante La Cinq dans les grandes largeurs, mais continue de se piquer de médias avec Europe 1 et Hachette, un ogre de la presse internationale devenu nain hexagonal sous l’action de son fils. De son premier mariage avec Corinne Levasseur naît Arnaud. Tiens, tiens, lui aussi épouse, en secondes noces, un mannequin, Elisabeth Pimenta Lucas, plus connue sous le nom de « Bethy », reconnaissable à la mèche blanche qui traverse sa chevelure. Jean-Luc Lagardère meurt le 14 mars 2003. De mort naturelle, conclura quelques mois plus tard une enquête judiciaire, alors qu’on soupçonnait une infection contractée à l’hôpital, voire un assassinat commis par des barbouzes russes. Une vie de roman de gare…

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Il est méchant dans L’empire, il sera méchant dans L’héritier. Vincent Bolloré est un serial-killer, il procède toujours de la même façon : il monte, il monte dans une boîte et puis il descend ses dirigeants. C’est ce qu’il a fait à Canal+, via Vivendi, c’est ce qu’il est en train de faire chez Lagardère, pour mettre la main sur Europe 1, notamment. Vincent Bolloré lorgne la station qu’il veut acoquiner avec CNews à la façon de RMC avec BFMTV. Pour cela, il a d’abord tenté de se faire passer pour le chevalier blanc, venu à la rescousse d’Arnaud Lagardère que le fonds Amber veut déboulonner. Mais pour se défendre, Lagardère lui a mis Bernard Arnault dans les pattes, qu’il a fait entrer dans sa holding personnelle, là où se loge le pouvoir de la commandite qui le visse solidement à la tête de son groupe. Qu’à cela ne tienne : Bolloré est désormais allié à Amber et il détiennent à eux deux 43,5 % du capital. Les deux grigous du capitalisme français Arnault et Bolloré vont-ils se bastonner à mort ? Ou s’entendre pour dépecer Lagardère des restes de son héritage ? Vous le saurez en ne manquant aucun épisode de L’héritier.

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Quand on est l’un des hommes les plus riches du monde, que vaut une promesse faite à un vieil ami disparu ? 80 millions d’euros dans le cas de Bernard Arnault, à savoir l’argent qu’il a investi dans le groupe Lagardère pour respecter son engagement, paraît-il, fait à Jean-Luc de toujours veiller sur Arnaud. Après, l’amitié, c’est toujours mieux de la sécuriser : le patron de LVMH, 71 ans et domicilié dans l’ancien hôtel particulier de Bethy Lagardère (la belle-mère d’Arnaud, le monde est riquiqui), est en fait entré au capital de Lagardère Capital & Management (LCM), la holding personnelle d’Arnaud Lagardère, qui contrôle 7 % de son groupe. 7 % seulement, mais Arnaud est invirable, c’est le statut de société en commandite : invirable du moins s’il assume personnellement les dettes du groupe Lagardère. Bernard Arnault s’est du coup trouvé un ennemi:  Vincent Bolloré, désormais actionnaire majoritaire du groupe Lagardère, mais qui est venu comme le pékin de base, en achetant des actions sur le marché et se retrouve sans réel pouvoir de décision. Il ne faut pas exclure que les deux grands fauves s’entendent in fine sur le dos du petit Arnaud : si Vincent Bolloré se verrait bien récupérer Europe 1, Bernard Arnault viserait quant à lui Le JDD et les boutiques d’aéroport.

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Il est un nain à côté de la bagarre entre les empires Lagardère, Arnault et Bolloré qui fait rage, mais c’est lui qui l’a déclenchée. Joseph Oughourlian, 48 ans, est celui qui a planté ses crocs dans la carotide d’Arnaud Lagardère et ne compte pas en décrocher. Via son fonds d’investissement Amber Capital, qui détient aujourd’hui environ 20 % du groupe Lagardère, il tente d’évincer l’héritier Arnaud, l’accusant de mauvaise gestion et de faire payer son dispendieux train de vie par sa boîte. Ça s’appelle un abus de bien social. Joseph Oughourlian, qui ne manque pas en privé de vocabulaire fleuri pour désigner Arnaud Lagardère, s’est allié avec Vincent Bolloré pour tenter de prendre le contrôle du groupe, même s’il ne traite pas en direct avec l’homme d’affaires, qui délègue à son factotum de Vivendi Arnaud de Puyfontaine. Et quand il n’est pas occupé à chercher des poux dans les finances de Lagardère, Joseph Oughourlian verse dans le football, avec le RC Lens, qu’il détient.

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Dans le document interne vantant les qualités des membres du conseil de surveillance du groupe Lagardère, Nicolas Sarkozy cochait toutes les cases : « expérience internationale », « expérience de dirigeant ou expertise financière », « expertise “métiers” et autres expertises ». Et c’est ainsi que l’ancien président de la République est entré au conseil de surveillance de Lagardère en mai 2020… Surtout, il présente l’avantage d’être copain comme cochon avec tout le monde : Arnaud Lagardère, qui voit en lui son « frère », Bernard Arnault (son témoin de mariage avec Cécilia) et Vincent Bolloré, ami au point de lui prêter son yacht après la campagne présidentielle de 2007. Et il n’est pas mal non plus avec le Qatar, autre grand actionnaire du groupe Lagardère. Mais maintenant que Lagardère s’est allié avec Arnault contre Bolloré, Sarkozy va devoir gérer ses amitiés successives.

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« J’ai appris qu’aller de l’avant ne signifiait pas pardonner, que c’était juste se faire à l’idée que les choses ne pourraient pas changer. […] J’ai appris que tout ça revenait juste à un truc tout simple : continuer à vivre, se noyer ou apprendre à nager. » Non, cette magnifique envolée n’est pas l’œuvre d’Arnaud Lagardère philosophant sur les attaques capitalistiques dont son groupe est l’objet, mais de sa femme Jade, sur Instagram en légende d’une photo d’elle plongeant d’un yacht. Car Jade Lagardère née Foret instagramme sa vie, ses vacances, ses voyages en jet, ses enfants, sa sœur, sa mère, en n’oubliant jamais de tagger les marques des vêtements. Elle instagramme tout, sauf Arnaud Lagardère, curieusement absent de ses publications, ce qui alimente régulièrement les rumeurs de rupture entre les époux. À croire que c’est ce que beaucoup souhaitent, surtout au sein du groupe Lagardère, où on s’arrache les cheveux de voir Arnaud dilapider son héritage pour entretenir toute la smala Foret, c’est bien connu : c’est toujours la faute des femmes. En vrai, c’est une sacrée OPA que fait la famille Foret – avec la redoutable matriarche Maïté à sa tête – sur les Lagardère, la petite sœur de Jade, Cassandra a même épousé Alexandre, fils d’un premier mariage d’Arnaud. Nous, on a la solution pour le groupe Lagardère : mettre Jade à sa tête, c’est une businesswoman bien plus avisée qu’Arnaud.

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Venue de la pub et de la presse (elle a dirigé plusieurs régies publicitaires dans différents titres, L’Expansion, Capital puis L’Obs), Constance Benqué a rejoint le groupe Lagardère en 1999, quand Arnaud Lagardère avait des ambitions dans les médias. Elle a alors la haute main sur tout ce qui est pub dans le groupe. En décembre 2018, Constance Benqué prend la présidence de Lagardère News qui rassemble Europe 1, Virgin Radio et RFM, ainsi que Le JDD et Paris Match. Le 11 mai, face aux salariés d’Europe 1 que l’arrivée de Vincent Bolloré angoisse, elle a ce mot : « Vincent Bolloré, il a pas un casque à pointe, il est pas là pour manger tout le monde. » À suivre, comme on dit.

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« Le village qui dit non aux migrants », « La haine imbécile antimilliardaires », « La révolution antiwoke a commencé », « Que ce bateau retourne en Afrique », « La tentation de l’autodéfense », « L’offensive du burkini », « L’épuratrice » (Sandrine Rousseau), « Le dynamiteur » (Éric Zemmour) ou encore un récit qui met en scène la députée LFI Danièle Obono en esclave : les unes de Valeurs actuelles publiées sous son règne de sept ans constituent une magnifique carte de visite pour Geoffroy Lejeune. Et pourtant, le 23 juin 2023, c’est lui qu’Arnaud Lagardère, encore président du groupe racheté par Vincent Bolloré, bombarde à la tête du JDD. Et ce alors que Lejeune vient tout juste d’être viré de l’hebdo d’extrême droite, qui le trouvait un peu trop d’extrême droite à son goût, c’est dire… Proche de Marion Maréchal et d’Éric Zemmour, dans les petits papiers de Bruno Roger-Petit, le conseiller d’Emmanuel Macron, Geoffroy Lejeune, 34 ans, voit son arrivée contrariée par la grève historique déclenchée par sa nomination – c’est la deuxième seulement en soixante-quinze ans de JDD.

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TF1, Canal+, TF1, Canal+. Ainsi se résume le parcours professionnel de Laurence Ferrari, diplômée de l’École française des attachées de presse. Après les sunlights du 20 heures de TF1 où elle succède à PPDA en 2008, elle est de retour en 2012 dans le groupe où elle avait auparavant présenté l’émission politique Dimanche+. Elle anime Le Grand 8 sur D8 (l’ex-C8), une tranche de la mi-journée où on papote, ainsi que Tirs croisés sur i-Télé où on discute actualité. Le règne de Vincent Bolloré à Canal+ la voit prendre de plus en plus de voilure : après s’être montrée dans les rassemblement de la grève d’i-Télé, elle se coule sans problème dans sa version bolloréisée, CNews, dont elle devient l’une des têtes d’affiche avec l’émission Punchline. Avant de se transformer en arme de guerre de Vincent Bolloré pour conquérir le groupe Lagardère : codiffusion de Punchline sur Europe 1 dans un premier temps, puis elle succède à Bruno Jeudy à la tête du service politique de Paris Match, où elle fait le ménage sans pitié dans la société des journalistes récalcitrante. Sous des dehors urbains, la caméléone Ferrari s’avère parfaitement compatible avec l’idéologie de Vincent Bolloré, se glissant comme dans un gant dans les obsessions de CNews sur l’immigration ou l’insécurité.

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Est-ce que Pascal Praud, c’était mieux avant, pour reprendre son éternel complainte ? Au moins, du temps où il causait foot dans Téléfoot ou au FC Nantes dont il fut le dircom, ne parlait-il que de ballon rond. C’est le sport, pourtant, qui l’amène sur i-Télé en 2010. Mais c’est à la faveur de la prise de contrôle de Vincent Bolloré qu’il se met à lâcher les crampons en 2016 pour animer L’Heure des pros, son émission de débat déclinée d’une conversation de pochetrons autour du zinc. La grande grève de fin 2016 des journalistes d’i-Télé contre l’arrivée de Jean-Marc Morandini le voit opérer un étrange mouvement entre les assemblées générales et le bureau du directeur Serge Nedjar pour y rapporter ce qu’ont dit les vilains collègues. Il en sera chaleureusement remercié : à la faveur de la transformation d’i-Télé en CNews, Pascal Praud devient l’une des plus belles têtes de gondole de l’empire Bolloré et squatte les matinées et soirées de la chaîne entouré d’une brochette de chroniqueurs d’extrême droite. Conseiller éditorial de CNews, Pascal Praud est le parfait petit soldat de l’empire Bolloré : en 2023, il quitte RTL pour Europe 1 et se fend d’une chronique hebdomadaire dans Le JDD, désormais dans l’escarcelle bolloréenne, où il se gave de nostalgie, pourfend « le système » et loue « le tempérament de Vincent Bolloré ». L’employé du mois tous les mois.

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