Il y a eu des Jours de joie, des Jours de galère, des Jours de gloire, des Jours de colère, des Jours de doute, des Jours de rigolade (beaucoup), et ce jour, le 5 novembre 2020, où, grâce à la mobilisation de nos abonnées et abonnés, nous avons atteint l’équilibre. Il y a eu 1 826 jours de Jours : cinq ans depuis notre lancement officiel, le 11 mai 2016. Cinq ans depuis que nous avons fait cette chose à la fois folle et réfléchie : lancer un média, un média en ligne, un média original qui dit non à l’exhaustivité et aux rubriques, un média obsessionnel qui raconte l’actualité en série, qui attrape ses sujets et ne les lâche plus, un média qui creuse, raconte et révèle, un média qui fait la place belle à la photo, à l’écriture, à la narration, un média indépendant et sans pub.
Il en a fallu du courage, de la détermination, de la passion, du professionnalisme, de l’abnégation à toute l’équipe des Jours pour imaginer, construire, développer, amener à l’équilibre ce média unique. Et il en a fallu des abonnés et des abonnées pour nous soutenir, nous lire, nous aiguillonner, nous recommander : un média indépendant n’existe que par et pour ses abonné·e·s. C’est l’équation la plus simple et la plus difficile à la fois. Et c’est l’équation qui va maintenant nous permettre de grandir, grossir, être plus que jamais à la pointe, faire toujours plus d’enquêtes qui font bouger les choses, qui attrapent et précèdent l’air du temps, qui se déclinent en livres, podcasts, documentaires… Les Jours, c’est une baston permanente qui se mène avec les troupes de nos abonnées et abonnés, un média qui rend fier, pour que Les Jours soient « les grands Jours ».
On nous demande souvent : « Pourquoi “Les Jours” ? » Parce que Les Jours, ça dit qu’on est là tous les jours, mais aussi qu’on était là hier, qu’on est là aujourd’hui et qu’on sera là demain, dans le temps. Ça dit notre journalisme profond, obstiné qui ne lâche pas ses sujets, qui redonne de la mémoire à l’information, qui ancre l’actualité dans l’histoire. Un journalisme qui remet au goût du jour la grande tradition du feuilleton : l’actualité racontée comme une série, que nous appelons nos obsessions, où chaque article est un épisode, où chaque intervenant est un personnage. Un journalisme à hauteur d’homme et de femme : plutôt que des statistiques, des parcours, des portraits, des destinées.
Les Jours, c’est un journalisme qui fouille là où les autres ne vont pas et qui révèle. Au plus près de jihadistes français de retour de Syrie (Les revenants), chez les nouveaux combattants de l’EI dans L’hydre, chez les annonceurs de la presse (Autour du pot sur les cosmétiques, SUV qui peut sur la voiture), dans les grandes entreprises (L’empire sur Vincent Bolloré et Canal+, L’héritier sur la chute de la maison Lagardère, La grande évasion sur l’optimisation fiscale des grands groupes au Luxembourg). Dans un mouvement catholique qui a couvert pendant des années un scandale de pédocriminalité (Tu ne pardonneras pas). Dans les coulisses du pouvoir avec les trois saisons des Conseillers, qui déconstruit la politique en expliquant comment elle se fabrique dans les cabinets, avec ceux qui trafiquent de l’influence (Les lobbyistes), avec ceux qui la racontent pour décrypter l’usine médiatique élyséenne (In bed with Macron). Dans un des secteurs les plus puissants aujourd’hui, celui de la musique, avec notre enquête au long cours La fête du stream.
Les Jours, c’est un journalisme incarné. Plutôt qu’un dossier sur les violences sexistes et sexuelles, c’est On se lève, on se casse et on nous écoute, sur une unité hospitalière qui aide les femmes à se reconstruire ou Le sale boulot, aux côtés de celles qui subissent des violences au travail, pour écouter leur voix plutôt que de pérorer sur des chiffres. Plutôt qu’un dossier sur l’immigration, nous racontons le suivi au long cours de la famille Jaamour, des Syriens exilés en Grèce (L’exil des Jaamour) puis accueillis en France (L’asile des Jaamour). Plutôt qu’une somme roborative sur la guerre civile en Syrie, La traque, celle du plus haut gradé syrien, jugé en ce moment pour crimes contre l’humanité. Plutôt que les chiffres du chômage, nous nous immergeons dans une agence Pôle emploi au côté des chômeurs et des conseillers (La vie Pôle emploi). Plutôt qu’un article les jours de grève, nous nous installons pendant toute une année scolaire dans des établissements pour vivre de l’intérieur la vie des élèves et des professeurs (Les années collège, Les années lycée, Les années fac, Les années bac).
Les Jours, c’est un journalisme qui s’empare du fait divers comme un miroir de notre société : la déroute judiciaire et médiatique de l’affaire Grégory (Grégory, la recherche du temps perdu), les évolutions de la police scientifique (Le grêlé, affaire non classée et La science du crime), la reconstitution de la vie d’un adolescent abattu à Saint-Denis au-delà d’une brève dans un journal (Ci-gît Luigi).
Les Jours, c’est un journalisme qui détecte les mouvements de fond de la société : La fin du monde, qui dissèque l’urgence climatique, en est déjà à sa troisième saison ; Les plastiqueurs enquête sur ceux qui détruisent la planète et notre santé ; 45 heures pour sauver le monde s’est immergée au cœur de la loi climat pour en disséquer la capilotade, et la toute nouvelle, J’ai pollué près de chez vous, se penche sur ces criminels qui profitent du laxisme de la justice : les délinquants environnementaux. Un journalisme qui sait s’emparer d’une actualité majeure pour la raconter en série : déjà trois saisons de la crise du Covid… Un journalisme qui combat la course à l’instantanéité : Les disparus, qui prend le temps de remonter jusqu’au Niger la trace des migrants qui viennent mourir en Méditerranée ; Scène de crime : Ebola qui, au travers du meurtre d’un médecin, retrace les enjeux politiques d’une épidémie ; Dans la seringue, qui remet de la science là où tout le monde s’improvise épidémiologiste ; ou encore la mise en perspective historique de l’élection présidentielle américaine avec This is America et sa saison 2, qui scrute l’étonnante présidence Biden.
Le maillage de nos 165 obsessions tresse la vision du monde des Jours au plus près de ceux qui font les jours que nous vivons. Alors pour résumer les cinq ans des Jours, et tout ceux qui vont venir, laissons la parole au poète anglais Philip Larkin :
« À quoi servent les jours ?
Les jours sont là où vivre.
Ils viennent, ils nous réveillent
À longueur de temps.
Ils sont là pour y être heureux :
Où vivrait-on hors les jours ? »